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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

pour le percevoir complètement ; il faut encore le concevoir comme existant en lui-même, comme ayant une nature à lui qui se manifeste dans la diversité des sensations qu’il nous donne. Si nous ne concevons pas que le livre possède en lui-même des propriétés qui ne subsistent pas seulement dans nos sens ; si nous ne concevons pas que le lien des sensations est non pas abstrait mais concret, réel, c’est-à-dire qu’il y a une raison d’être de la cohésion des parties de l’objet, qu’il y a une définition possible du livre, nous ne percevrons pas. L’animal ne perçoit pas parce qu’il ne conçoit pas.

Dans toutes les sensations des différents sens que nous avons successivement étudiées se rencontrent donc en proportions inégales les deux éléments que nous venons d’y distinguer : l’élément sensitif et l’élément représentatif. Chaque sensation est par elle-même un pur état du sujet sentant mais elle n’existerait pas en ce sujet s’il n’était en même temps actif, s’il ne possédait le pouvoir de réunir entre elles par l’unité de son action ses sensations diverses, et, par suite, de conclure de ces sensations, pures apparences subjectives, aux êtres réels, indépendants de lui, qu’elles manifestent. Cette action, qui est proprement la perception, consiste dans la détermination des qualités de cet être représentées comme liées les unes aux autres dans l’étendue ; et cette détermination, comme nous l’avons vu, suppose pour être complète la connaissance de l’être extérieur lui-même, sa conception. La perception suppose la pensée.

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Aucune partie de la doctrine de Lagneau n’est aussi difficile à saisir que sa théorie de l’être, d’autant plus qu’il ne s’est expliqué un peu longuement là-dessus que vers la fin de sa vie. L’idée principale c’est que l’être c’est le matériel, le limité, le déterminé. Être c’est être dans un lieu ; c’est soutenir avec d’autres êtres des rapports déterminés ; un être qui n’est nulle part ; et qui est sans relation avec d’autres êtres, n’est pas un être. Le vêtement de l’être, c’est donc l’espace, c’est-à-dire la représentation de la fixité du rapport des êtres entre eux. L’on voit par là que ce qui est n’est pas premier en importance, et est subordonné à autre chose qui n’est pas, qui agit. Et il ne faut pas s’étonner que la Science ignore ce qui agit puisqu’elle met toute sa perfection à se conformer exactement à l’être, abstraction, détermination, système de rapports, et qu’elle veut faire dépendre ce qu’elle appelle l’action des lois de l’être,