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E. CHARTIER.COMMENTAIRE AUX FRAGMENTS DE J. LAGNEAU.

l’esprit métaphysique, et qui en réalité n’en est que le fantôme. Lagneau est avant tout un analyste patient, qui divise et distingue ; et, de ta même manière qu’Aristote, auquel il préférait pourtant de beaucoup Platon, c’est à force de distinguer qu’il identifie, c’est dans le concret qu’il cherche l’absolu.

1. Éclaircit une formule provisoire de la pensée 9 « il y a de l’inconscient, mais non dans la pensée ». Cela veut dire seulement que l’inconscient ne-peut être conçu comme réel en dehors de la pensée. L’existence inconsciente, somme de sommes d’existences, n’est qu’une apparence d’existence, un système d’abstractions. En réalité il n’y en a pas : car l’être est un, et par suite tout ce qui est est lié à tout l’être de telle manière que la pensée d’un être suppose la pensée de tous les autres, c’est-à-dire que toute pensée suppose toute la pensée, ainsi qu’il a déjà été dit.

Mais dans l’inconscient, il faut encore distinguer deux degrés, qu’on pourrait appeler la nature primitive et la nature acquise ; un des développements sur lesquels Lagneau s’arrêtait le plus volontiers, c’est que la vie consciente, intelligente, volontaire, ne se suffit-pas à elle-même ; qu’elle suppose toujours une nature, dont le corps est la représentation confuse, et qui ne fait qu’exprimer pour la conscience, sous la forme du désir, du besoin et de la douleur, la dépendance où elle est nécessairement par rapport à la Pensée. Ce que l’on appelle les fonctions du corps, tout le travail compliqué de la lente adaptation des organes, ou, comme on dirait à un autre point de vue, toutes les traces de l’existence ancestrale ne peuvent être que des pensées enchaînées dans l’habitude, la Pensée faite chair. Cela nous pouvons le comprendre par l’analyse réflexive, mais non point y revenir, et le transformer directement : il ne nous est pas possible, sinon dans des limites très restreintes, de refaire notre corps, de nous donner un bon estomac et de bons yeux, par exemple. La suite de la pensée s’explique maintenant d’elle-même.

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Ce que Lagneau critique ici sous le nom de méthode déductive en psychologie, c’est la déduction dont le point de départ est une abstraction préalablement définie et postulée, comme le point, la ligne droite, la surface dans la mathématique. Cela ne veut point dire que la psychologie doive se priver du raisonnement et renoncer à la recherche de la nécessité. Tout fait de pensée supposant toute la