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E. CHARTIER.COMMENTAIRE AUX FRAGMENTS DE J. LAGNEAU.

de ses effets ». C’est donc dans ses effets qu’il faut la retrouver.

On croit généralement pouvoir partir de la notion du sujet pensant comme d’une notion claire et accessible à tous ; aucune erreur n’est plus contraire à la réflexion philosophique ; car le philosophe inexpérimenté ou bien prend les mots pour les choses, et arrive à croire qu’il perçoit directement l’immatériel, ou bien, ne pouvant réussir à mettre d’abord une notion claire sous les mots esprit, pensée, nie l’esprit et la pensée et se réfugie dans des laboratoires, avide de mesures précises et de réalités concrètes. En réalité la notion concrète du spirituel est au terme de l’analyse psychologique et non à son début ; il faut avoir fait des analyses multipliées, avoir étudié successivement les divers degrés de la connaissance, avoir pris conscience bien des fois du caractère abstrait de l’objet et de l’être, avoir aperçu dans les objets les plus divers, et comme leurs conditions, les mêmes principes et enfin le même principe, pour connaître réellement ce que c’est que la pensée, ou mieux pour en avoir le sentiment direct. On ne s’improvise pas philosophe, il y faut du temps et du courage.

On n’est pas philosophe pour avoir, discuté et accepté tous les arguments qui prouvent l’existence de l’esprit. Les étudiants en philosophie n’ont rien à attendre d’une promenade intelligente à travers les systèmes ; car il n’existe aucun moyen de comprendre la Monadologie ou le Kantisme si l’on n’est pas résolu à passer autant de temps au moins et à dépenser au moins autant de peine les comprendre que l’auteur lui-même en a mis à les construire. Cependant, on rit volontiers de la Métaphysique et des Métaphysiciens, et l’on proclame que rien n’est plus facile que de construire des systèmes, comme si la notion de monade, par exemple, n’exigeait pas des années de réflexion concrète pour être seulement entrevue dans sa vérité. Platon redoutait par-dessus tout la facilité et la promptitude d’esprit chez ses jeunes disciples ; ils ne devaient arriver à la science des idées que très tard, en passant par la science difficile des nombres. Lagneau était, lui aussi, l’ennemi de ces esprits prompts qui lui expliquaient sa propre pensée sans l’avoir comprise ; la vivacité d’esprit et ce qu’on peut appeler la facilité métaphysique, étaient réprimées par lui avec une espèce d’irritation, ce qui avait du moins l’heureux effet d’écarter de la philosophie les esprits brillants et présomptueux. De même, lorsqu’il enseignait, il ne craignait rien tant que d’être compris trop vite et d’être compris