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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

perception ne consiste point dans le sentiment, des images qui se dessinent au fond des deux yeux ; ces deux images sont différentes, elles ne peuvent pas coïncider complètement. En réalité nous sommes obligés de conclure des dimensions qui se dessinent sur le fond de chacun de nos deux yeux les dimensions d’une image unique et réelle que ces deux images représentent. L’acte de la vision consiste dans la représentation de cette image unique. Lorsque nous nous contentons d’abandonner notre regard à lui-même, lorsque nous sommes passifs, nous ne voyons pas les objets. Il n’y a vision qu’au moment ou nous réalisons en une seule les images des deux yeux, où nous unifions les deux champs visuels ; et cela n’est possible que parce que nous avons l’idée de l’unité de l’objet. Nous éprouvons dans nos deux yeux deux ensembles d’impressions légèrement différents l’un de l’autre nous constatons que ces différences peuvent varier régulièrement suivant les mouvements que nous faisons nous sommes amenés ainsi à expliquer ces différences par des différences de position par rapport à l’objet, et à considérer que l’objet n’en est pas moins un. La diversité des impressions des deux yeux est le stimulant qui nous excite à concevoir l’unité de l’objet. Loin que la dualité de la vision nous empêche de concevoir l’unité de l’objet, elle est au contraire une raison de mieux saisir cette unité.

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Que les traces des impressions soient conservées sous une forme ou sous une autre dans le corps, cela est incontestable ; et c’est là une explication de l’imagination qui a sa valeur, mais ce n’est point une explication philosophique. Le corps, et, plus précisément, certaines parties du corps, apparaissent en fait comme la condition de la mémoire, et de telle mémoire ; mais ce n’est là qu’une constatation. Au point de vue de l’analyse réflexive, il s’agit de rechercher les conditions nécessaires de ce qui est. Il faut donc, ici en particulier, comprendre comment l’idée de la conservation d’une connaissance est liée nécessairement à l’idée du corps. La véritable question du rôle de l’organisme dans la conservation et l’évocation des images est celle-ci : comment la pensée est-elle amenée à se représenter sous la forme d’un corps organisé le pouvoir qu’elle a de conserver des connaissances ? Si l’on se place au point de vue de la Science, il n’y a rien autre chose que des corps agissant les uns sur les autres, et des corps vivants capables de conserver, sous la forme