Page:Revue de métaphysique et de morale, année 16, numéro 6, 1908.djvu/102

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n'est qu'une diversité modale. Or c'est dans cette voie que Spinoza, dès le Court Traité, engage les notions cartésiennes de substance ou attribut ; il soutient qu'aucune substance finie n'existe, que toute substance est nécessairement infinie en son genre ; il entend au reste là par substance ce qu'ailleurs, en le rapportant à Dieu, il appellera attribut. Et l'une des raisons pour lesquelles il affirme l'impossibilité d'une substance finie, c'est que l'essence constitutive de la substance ne contient aucune cause interne de limitation d'emblée, par cela seul qu'elle se pose, elle implique l'infini. Par suite il ne peut exister deux substances semblables ; car la seconde, en empruntant une partie de la même essence, limiterait la première ; or toute substance est infinie en son genre. Par suite encore, aucune substance ne peut en produire une autre, puisque la production de cette autre supposerait entre les deux une communauté d'attribut, et que, pour Spinoza, une substance comprend en elle la totalité de l'attribut dont elle est la réalisation. Comme il est dit dans l'Appendice, « à aucune substance qui existe ne peut être rapporté un attribut qui est rapporté à une autre substance ». Ainsi à coup sûr toute substance peut paraître, par son infinité même, susceptible d'être rapportée immédiatement à l'Être divin, mais à la condition précisément qu'il ait été justifié que l'Être divin doit absolument comprendre en lui toute réalité substantielle ; et ce n'est point la notion de substance qui apporte d'elle-même cette justification.

Le développement des premières propositions de l'Éthique ne saurait, semble-t-il, se bien suivre que selon le sens de ces propositions du Court Traité. Il ne faut pas dès le début se représenter Dieu sous la substance ; il faut véritablement attendre que Dieu, qui n'est pas seulement une substance infinie en son genre, c'est-à-dire constituée par un unique attribut, mais une substance absolument infinie, c'est-à-dire constituée par une infinité d'attributs, ait été démontré existant, pour avoir le droit de conclure que Dieu est la seule substance : jusque-là une pluralité de substances, corrélative à la distinction des attributs, reste possible. Faute de voir que dès le principe la substance n'est envisagée que [785]