Page:Revue de métaphysique et de morale, numéro 2, 1920.djvu/16

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employés, un effort légitime, mais parce que, pratiquement, les abus de pouvoir subsisteraient ou surgiraient si cette force antagoniste disparaissait. Il reste incontestable, pourtant, que cet effort est sujet à des limites et à une règle qui lui sont extérieures ; aucune prétention ne contient en elle-même sa propre justification. La personne réelle ou la personne civile est le bénéficiaire du droit ; elle n’en est pas véritablement le sujet. Une revendication n’acquiert le caractère d’un droit que dans la mesure où l’on a pu établir sa compatibilité avec les autres droits, c’est-à-dire où elle peut s’intégrer au système de la collectivité pris dans son ensemble. Aucun droit ne peut donc être défini isolément et chaque droit n’est tel qu’en fonction de tous les autres. Nulle part il n’y a un droit que parce qu’une société existe et pour qu’elle existe. Ici donc, encore une fois, ce n’est pas la conscience tout intérieure et tout individuelle qui peut nous fournir la mesure du droit. Ce n’est qu’en considérant l’ensemble social qu’elle peut établir ce que le droit autorise, ce qu’il interdit, ce qu’il exige. Le désir, le besoin, la force sont choses de la nature, sans caractère moral. Le droit est chose sociale, il définit les relations des éléments de la société entre eux, et ne peut le faire qu’en définissant la relation des éléments avec le tout. Je l’ai déjà indiqué tout à l’heure en parlant de certaines revendications corporatives. On le sentira plus nettement dans certains cas particuliers. Peut-on poser le « droit » des bouilleurs de cru, le droit au cabaret et à l’ouverture des cabarets ? Dans un tout autre ordre d’idées, le droit d’enseigner, le droit de plaider, le droit d’exercer la médecine ? Partout vous voyez que le droit de chacun est ou devrait être limité par le droit de tous, et finalement par le droit de la collectivité à protéger son existence. Le droit de propriété lui aussi, qui apparaît en fait comme le type même du droit individualisé, est soumis à une foule de limitations, déterminées par la garantie indispensable des droits de la collectivité, et il tend à l’être de plus en plus.

À y bien regarder le droit détermine plutôt encore nos devoirs que nos avantages : s’il nous est conféré, c’est surtout pour nous permettre d’exercer certaines activités auxquelles la société est intéressée.

Une autre correction nécessaire de l’idée courante du droit, c’est qu’il importerait de ne plus le concevoir comme absolument rigide. Sans doute par nature le droit est définition, détermination ; il est