destiné à prévenir ou à corriger l’arbitraire dans les relations sociales. Il est pourtant pratiquement indispensable qu’il reprenne une certaine élasticité qu’il a perdue, toujours sous l’effet de la crainte instinctive du bon plaisir et des abus du pouvoir. Mais enfin la nature et surtout la société ne sont pas quelque chose de mathématique : tout ne peut être rigoureusement prévu ni calculé. « On a vu quelquefois certains mécaniciens, disait récemment un député à la Chambre, qui à la fin de leurs huit heures, sans avoir terminé leur tâche, n’ayant pu amener leur train à l’endroit où il fallait, le laissaient sur des voies de garage. » On aperçoit nettement ici la différence entre le point de vue subjectif et le point de vue objectif. Subjectivement la tâche était terminée si les huit heures étaient passées ; objectivement elle ne l’était pas puisque le résultat nécessaire n’était pas obtenu, en vue duquel ces tâches étaient organisées et distribuées. Or la vie du corps social ne s’alimente pas avec des heures, mais avec des produits et des résultats. La conception d’un droit rigide suppose une idée toute mécanique de l’homme, de la société, de la nature même, qui les enveloppe. Une telle idée est manifestement absurde. Il y a bel âge que le bon sens français l’a ridiculisée dans la Farce du cuvier. Il faut donc que sans cesse le droit dont le caractère est de prévoir et d’être préétabli, s’adapte pourtant à l’imprévu des événements et se règle, non sur la lettre pure, mais sur les fins en vue desquelles il a été constitué. Certes il n’est permis à personne, par définition, d’exiger plus qu’il ne lui est dû ; mais il est loisible et il peut être moralement obligatoire si les circonstances le demandent, de donner plus qu’on ne doit en toute rigueur. C’est donc encore une fois la conscience qui doit animer le droit, et doit être comme l’esprit qui s’ajoute à la lettre en en respectant le sens. C’est elle qui interprétera la règle du droit par la considération de la fonction, et mesurera les exigences de la fonction à sa place dans la vie de l’ensemble.
Enfin, si l’on admet ces principes, on aperçoit une autre rectification nécessaire à notre idée et à notre pratique du droit, rectification dont nous sommes peut-être encore plus éloignés que de la précédente. Si le rôle du droit est de déterminer et de prévoir, d’organiser le système des actions sociales, non d’une manière mécanique, mais d’une manière souple et intelligente, il est impossible que le droit se meuve dans les ténèbres. Il veut la lumière, toute la lumière possible sur les conditions et la portée de nos actions respectives.