C’est déjà bien assez que tant d’incertitudes inévitables subsistent, sans que les hommes y ajoutent encore une foule de cachoteries, de mystères, de mensonges qui détruisent la sécurité de l’action et l’obligent à marcher à l’aventure ou même l’engagent sur de fausser pistes. Auguste Comte avait encore ici une forte maxime dont nous aurions bien besoin de nous inspirer : « Vivre au grand jour. » Si, comme je l’ai déjà montré, toutes les relations sociales sont ou doivent tendre à devenir contractuelles, ou tout au moins quasi contractuelles, il faut vraiment jouer cartes sur table. Nos lois sur la diffamation, comme le remarquait déjà Comte, seraient à réformer radicalement. Elles ont l’air d’être faites pour protéger toutes les tromperies ou tous les abus, en entravant systématiquement tous les démentis utiles. Certes, c’est si l’on veut une diffamation caractérisée que de dénoncer une fourberie ; et dans l’état actuel de notre législation et de nos mœurs, il est presque impossible de procéder à cette opération d’assainissement. Mais on peut estimer que cette impossibilité est antisociale. Comment ! il sera permis à un fabricant d’apéritifs d’affirmer que le sien est oxygéné, et il ne sera permis à personne de dire que cela est un mensonge et un non-sens ! Il sera permis à des charlatans d’attirer une misérable clientèle en se vantant de guérir en quelques séances des maladies qui jusqu’ici sont à peu près réfractaires aux efforts de la médecine la plus sérieuse, et l’on n’aura pas le droit d’afficher et de proclamer que c’est une effronterie préjudiciable non pas seulement à la bourse de quelques imprudents, mais à la santé publique ! Il sera permis à d’entreprenants pharmacopoles de vendre sous un nom ronflant des remèdes tantôt insignifiants, tantôt violents et dangereux, sans qu’il soit loisible de rétablir la vérité, et de permettre aux malades de savoir ce qu’ils achètent à un prix excessif ! On sait combien il est difficile d’obtenir des laboratoires officiels l’analyse des spécialités pharmaceutiques. N’a-t-on pas réalisé un grand progrès lorsque les syndicats agricoles ont commencé à fournir des engrais loyalement dosés, tandis que les marchands s’enrichissaient à vendre des produits incertains ? Et l’on continue à admettre que des aliments quelconques, par ce temps de pauvre natalité et de manque de lait, soient, sans aucune garantie de valeur ni de composition malgré les protestations qui se sont fait entendre à l’Académie de Médecine, proposés, à grand renfort de réclame, pour l’alimentation de nos petits enfants ! Pratiquement le public n’est pas protégé. On s’est
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