Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 2, 1908.djvu/20

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la raison qui a conduit remplacer la notion du réel, telle qu’on le trouve dans Platon et Aristote, par une autre notion du réel, à remplacer le concept par le corps ? Ma thèse répond à une question plus particulière, subordonnée à cette question générale : Quelle est la place des incorporels chez les anciens stoïciens ? Les stoïciens cherchent à expulser les incorporels de l’être, de façon à éliminer toute indétermination provenant de l’incorporel dans l’être sensible. Ils vont dans une direction opposée à celle de Platon et Aristote, qui montraient dans l’être sensible l’illimité, l’indéterminé. Des conceptions de Platon et d’Aristote découlaient trois conséquences. 1° Les événements qui arrivent à un être sont essentiellement accidentels : première indétermination de l’être sensible. 2° Le lieu d’un corps, pour Aristote, dépend des lieux des corps environnants : seconde indétermination, en tant que le lieu d’un corps est ainsi sous la dépendance des autres corps. 3° Le temps, pour Aristote, est la mesure du changement. En tant qu’un être change, il est indéterminé. Si l’être sensible est dans le temps, il ne peut être entièrement déterminé. Or si l’être sensible est indéterminé, on ne peut réduire l’être réel à l’être sensible, au corps. Voilà les conséquences que veulent éviter les stoïciens. Les stoïciens distinguent les accidents et les propriétés actives : l’événement est sans activité, est un simple effet. Les propriétés actives font partie du réel ; les événements n’en font pas partie. Pour le lieu, les stoïciens reviennent à une théorie rejetée par Aristote : alors qu’Aristote substituait à la notion du lieu intervalle entre les extrémités la notion du lieu extrémités du corps, les stoïciens reprennent la théorie du lieu considéré comme un intervalle toujours plein qui peut être constitué tantôt par un corps, tantôt par un autre. Aristote avait objecté, à cette conception du lieu, que, si le lieu est l’intervalle d’un corps, il faudra dire, quand un corps changera de place, que le lieu changera de lieu, ce qui est absurde. Mais les stoïciens échappent à cette objection, parce qu’ils ne conçoivent pas les corps comme impénétrables, qu’il est impossible de faire appel à des limites qui n’existent pas pour définir le lieu. D’où la nécessité de rejeter la conception d’Aristote et d’admettre la théorie du lieu intervalle. Mais alors le lieu est déterminé par le corps lui-même. Enfin, pour le temps, les stoïciens le conçoivent, après Aristote, comme mesure du mouvement ; seulement, ils conçoivent le mouvement












autrement qu’Aristote. Le mouvement est acte c’est le mouvement du feu générateur qui va du centre aux extrémités, revient des extrémités au centre. Le monde est une série de.mouvements..Ils. enlèvent au changement, ce. qu’il avait d’indéterminé et en font l’acte de la vie qui n’existe pleinement qu’en se développant. Les incorporels n’ajoutent rien au corps sensible, mais sont les effets du COrpS..̃.̃̃. “̃

Cette nouvelle conception influe surtout sur la logique stoïcienne. Si l’être réel est le corps, il faut admettre une scission entre la connaissance du réel et la connaissance dialectique. Chez Platon et Aristote, le réel, c’était l’idée. Dès que le réel est corps, la connaissance du réel est la sensation, action d’un corps sur un autre. Mais cette représentation des choses se termine en elle-même. Il n’y a pas possibilité d’une connaissance dialectique après cette connaissance par sensation. Que— devient, alors la connaissance dialectique’? C’est la connaissance des accidents, des événements qui sont à la : ̃ surface du corps. Elle se réduit à l’expression de ces événements au moyen de propositions. Les propositions sont simples, si elles expriment un seul événement ; complexes, si elles expriment un rapport entre événements. L’exprimable, ce n’est pas le corps, c’est l’événement, effet du corps. La forme du raisonnement, ̃ c’est le raisonnement hypothétique. Cette dialectique nouvelle est tout à fait semblable à notre logique induclive. Cette ressemblance dépasse-t-elle la format : Nous ne croyons pas. La logique inductive, en effet, consiste non seulement dans l’expression, mais surtout dans l’établissement de la loi ; or, jamais les stoïciens n’ont cherché à établir des lois. La loi est essentiellement de nature synthétique, lie deux termes hétérogènes, la cause et l’effet ; or, les stoïciens n’admettent entre le conséquent et l’antécédent que des relations d’identité ; le conséquent doit être ou identique ou à peu près identique à l’antécédent. On ne peut pas plus assimiler le destin il la loi. Par le fait même qu’elle s’est éloignée du réel, la dialectique stoïcienne a été tout à fait inféconde. Le stoïcisme s’est bientôt écarté de toute question logique ou physique. La raison est pour une bonne part dans cette théorie des incorporels. Cette théorie a fermé la voie à la spéculation. La logique et la science anciennes ont toujours été réalistes il lui fallait un objet analogue à la pensée dès que cet objet a été nié, la science n’a plus pour objet que le néant.