M. Boutroux loue le candidat pour la conscience de son étude et la connaissance très complète qu’il a des textes stoïciens. — Il regrette, seulement que le candidat n’ait pas donné un état de la question et indiqué les travaux déjà faits. Il rappelle les travaux de Zeller sur ce point.
Au début de votre thèse, vous identifiez intelligible et incorporel. Mais cette identité est contestable. Elle implique une confusion entre l’essence et l’existence : Platon et Aristote ont mis au second plan le problème de la substance, pour s’occuper surtout du problème de l’essence. Ils ont cherché l’intelligible. Mais faut-il pour cela identifier pensée et incorporel ? Du fait qu’ils ont rélégué dans l’incorporel certaines choses de pensée, s’ensuit-il qu’ils ont relégué hors de l’être tous les éléments intelligibles ?
M. Bréhier. Pour la philosophie antéstoïcienne, intelligible et incorporel sont identiques parce que Platon et Aristote se sont préoccupés surtout du problème de l’essence. Mais je n’ai pas prétendu qu’incorporel, pour les stoïciens, soit synonyme d’intelligible : pour eux, il n’y a d’intelligible que la représentation compréhensive. C’est au point de vue d’Aristote et de Platon que je me plaçais, quand je faisais cette identification.
M. Boutroux. Vous trouvez simple de dire que pour les stoïciens les incorporels n’existent pas. Mais ils n’ont pas été très fermes sur ce point. Les incorporels n’ont pas d’existence définie, mais ce sont des ὄντα. De la difficulté de concilier ces deux choses est résultée, au témoignage de Sextus, une lutte interminable dans l’école. Ce n’était donc pas un dogme pour eux que les incorporels n’ont aucune espèce d’existence, et ce n’était pas, par suite, un point essentiel de la doctrine. Chez Chrysippe lui-même, on trouve l’ὄν dans le logique.
M. Bréhier. Le corporel et l’incorpore font partie du τί, mais non pas de l’ὄν.
M. Boutroux. Il y a des textes où l’incorporel rentre sous l’ὄν.
M. Bréhier. Généralement, on dit qu’ils sont μηὄέν. Je ne connais pas de textes où ὄν soit employé.
M. Boutroux. Il y en a, cités par Zeller.
L’ov comporte beaucoup de degrés.
M. Bréhier. Mais ce que veulent précisémentjes
stoïciens, c’est né pas admettre
de degrés dans l’être.
H.’Boutroux. C’est une gageure qu’ils
n’ont pu tenir. Sans doute, c’estleur tendance
fondamentale. Mais ils n’ont pu se
maintenir dans cette position. Votre
étude sur le* Xextôv est très bonne les
/, E%xâ sont les faits purs et simples. en
tant que résultats. – Je n’ai pas pu bien
saisir votre discussion sur la contrariété
et la contradiction, p. 27-28. Vous
renversez les choses, définissant I’ivn-.neifievov
comme l’àvrtipaa-iç d’Aristote. Vous
me semblez dans l’erreur, quand vous
dites que la proposition « il ne fait pas
clair contredit la proposition « il fait
jour » (p. 28). C’est le contraire que dit
Sextus.
M. Bréhier. J’ai voulu distinguer le
j.a.y6y.vio’t et l’avratéifievov. Le pia^ijisvov
est la même proposition, à laquelle on
ajoute la négation. L’avuxsi[j.evov est une
proposition affirmative contraire.
M. Boutroux. Pour la séméiologie stoïcienne,
vous vous être décidé pour la
thèse d’Hamelin contre celle de Brochard.
Vous avez raison, à condition toutefois de
distinguer ce que les stoïciens ont voulu
faire et ce qu’ils ont fait. Pour les stoïciens,
un même loyoç circule sous des
apparences de diversité. Les choses apparaissent
hétérogènes les unes à l’égard des
autres ; mais l’effort de la logique" stoïcienne
tend à démêler l’identité cachée
sous la diversité apparente. Pour le
destin, vos affirmations sont un peu tranchantes
dans la forme. Vous montrez que
le Destin ne lie pas les événements entre
eux ; il peut ne pas les lier directement,
mais les lier indirectement. Par exemple,
nous trouvons chez Spinoza etMalebranche •
deux causalités la causalité des phénomènes,
causalité directe, et la causalité
interne, celle de lasubstance productrice.
Peut-être y a-t-il quelque chose d’analogue
ici. Vous dites Si le destin liait les faits,
tous devraient être liés ; or c’est’le contraire
qui arrive (p. 35). J’ouvre Cicéron
et je lis dans le de Fato comme
expression de la pensée des stoïciens
Omnia fato fieri causis antecedentibus.
» Y a-t-il contradiction entre mon
texte et le votre, selon lequel il y a des
faits qui ne sont pas liés, puisque Chrysippe
distingue des faits simples, c’est-àdire
sans contradiction dans d’autres faits
et des faits connexes ? Vous avez raison
en un sens il y a la cru-fxatixSsa-ii ;, fait
métaphysique intérieur, qui n’est pas liée.
Mais les résultats le sont. Il y a donc ici
deux points de vue.
. Bréhier. « Câusis" signifie non pas
événements, mais corps.
M. BovÀroux. La cause est ici une poussée,
donc une action.
M. Bréhier. J’opposerai à celala théorie
générale des stoïciens la « causa principalis
est toujours un corps. Le choc n’est
pas un événement. Il y a là un rapport
entre deux corps qui est quelque chose de
réel.