Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 3, 1908.djvu/6

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

in-16 de 175 p., Paris, Alcan, 1908. — Cet ouvrage est composé, nous dit l’auteur, de leçons faites, sous une forme différente, à l’Université nouvelle de Bruxelles en 1907. C’est un livre de combat, avec les qualités et les défauts de ce genre, parfois inévitable, mais toujours peu philosophique. Il aborde toutes ces questions vitales, plus controversées que jamais à l’heure actuelle : la croyance, la morale, la destination de l’individu et de l’univers. Il tranche les problèmes, plutôt qu’il ne les étudie. M. Ossip-Lourié nous apporte son témoignage et son credo ; il expose avec enthousiasme ses fortes convictions rationalistes, qui visent à écraser la croyance religieuse pour y substituer la croyance intellectuelle.

Par religion il entend le christianisme, et par christianisme l’orthodoxie ecclésiastique ; il ne tient pas à établir des distinctions et des nuances ; il condamne tout en bloc sans circonstances atténuantes. « Sans la croyance supra-terrestre qui endort l’esprit, Darwin serait né avant Charlemagne » (p. 28).

Il est évident que l’auteur, entraîné par l’ardeur de sa logique, n’a pas suffisamment envisagé la complexité objective des faits et des problèmes. Il lui reste à soumettre ses idées au contrôle impartial de l’histoire et de la psychologie. Il verra que la croyance intellectuelle ne peut remplacer la croyance religieuse, parce que l’une et l’autre ne répondent pas aux mêmes aspirations ni aux mêmes besoins. La raison, tout en démasquant l’illusion des dogmes et en interprétant les données positives des religions, peut leur reconnaître une signification essentielle et permanente, comme M. Boutroux vient de le montrer magistralement dans la belle conclusion de Science et Religion.

Éléments de psychologie concrète et de métaphysique, par Melchior Canal, 1 vol. in-8 de xvii-628 p., Paris, Didier, 1907. — Il n’est pas bien aisé d’entendre ce que M. Canal a voulu nous donner sous ce nom de psychologie concrète. C’est sans doute une psychologie toute proche des faits, plus descriptive qu’analytique, plus curieuse de la diversité des détails et des applications morales que des causes et des lois abstraites. Au point de vue de l’enseignement, auquel ce livre est destiné, cette conception de la psychologie pourrait être légitime et intéressante, si elle ne s’inspirait d’une vue métaphysique très contestable et qui a conduit M. Canal à d’étranges assertions.

M. Canal, à la suite de M. Bergson, tient évidemment l’analyse, procédé de la science, pour une cause d’erreur. Tout ce qui est distingué, abstrait, est faux pour autant. Il faut donc revenir sans cesse des abstractions, où nos besoins pratiques nous conduisent, à la réalité infiniment complexe et indiscernable. C’est pourquoi, comme d’autres — ceux qui font œuvre de science — s’appliquent à tout distinguer, M. Canal s’applique à tout confondre. Et il y réussit.

Il ne remarque pas seulement que les diverses fonctions mentales se continuent ou se superposent, vue exacte et utile, mais au demeurant banale ; il conclut de ce qu’elles s’exercent ensemble qu’elles ne se distinguent pas. Il tient la simultanéité pour une identité spécifique. Ainsi de ce que l’on n’éprouve jamais ( ? ) une sensation sans la coordonner à quelques autres pour en former une image, M. Canal conclut que sentir c’est percevoir, et inversement. « La distinction entre ces deux états est purement abstraite : elle n’est pas réelle. L’idée de la perception est clairement distincte de l’idée de la sensation, mais les phénomènes correspondants ne le sont pas ». (199). De même, comme l’homme ne se représente jamais un objet sans le classer, comme il superpose toujours quelque pensée à ses représentations, M. Canal en conclut que percevoir c’est généraliser, et inversement. Il est vrai que comme, à ce compte, tout rentrerait dans tout, ce qui supprimerait la psychologie, M. Canal se hâte d’ajouter chaque fois que, « pour satisfaire aux exigences de l’analyse et du discours », il va expliquer à part ce qui n’existe pas à part. Une fois l’erreur affirmée en principe, M. Canal consent volontiers à revenir à la vérité, ou à ce que le vulgaire tient pour tel.

D’ailleurs ce que M. Canal nous en dit est bien souvent du plus grand intérêt. D’un tour très personnel, abondant en fines analyses ou en ingénieuses réflexions morales tout aussi bien qu’en assertions paradoxales, l’ouvrage de M. Canal invite bien souvent le lecteur, d’une façon assez impérieuse, à douter des formules en cours et à reviser ses opinions, sans d’ailleurs lui fournir toujours des arguments suffisants pour y renoncer.

Le caractère personnel et primesautier de cet ouvrage est précisément ce qui le rend médiocrement propre à rendre à l’enseignement les services qu’en attendent l’auteur et les éditeurs. Il peut être d’une lecture suggestive pour des élèves très intelligents et déjà avertis. Deux ou trois exemplaires dans la bibliothèque d’une classe y rendraient certainement des services. Mais ces éléments de psychologie ne sauraient à aucun titre être considérés comme un