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des germes ; Newman s’en inspire constamment.

Lamennais, sa vie et ses doctrines, t. II : Le catholicisme libéral, par l’abbé Charles Boutard, 1 vol. in-8 de 407 p., Perrin, 1908. — On trouve dans ce second volume les mêmes qualités de précision et d’impartialité qui avaient fait du tome Ier la meilleure biographie existante de Lamennais jusqu’en 1828. M. l’abbé Boutard étudie cette fois la période qui va de 1828 à 1834, date de la rupture définitive avec Rome. Il était fort délicat pour un catholique et pour un prêtre de faire sur cette matière œuvre d’historien, et de concilier avec une sympathie profonde pour le caractère de Lamennais et les idées libérales, le respect de décision de l’Église et d’une politique à bien des égards discutable. M. l’abbé Boutard s’est montré supérieur à cette tâche difficile. L’analyse des facteurs qui ont rendu la crise inévitable est menée avec beaucoup de précision et de tact : facteurs moraux, hâte de Lamennais à imposer ses vues prophétiques, impatience de rester incompris du côté libéral comme du côté catholique ; — facteurs intellectuels, évolution des idées mennaisiennes du traditionnalisme pur vers une sorte d’évolutionnisme plus ou moins teinté de positivisme, et du monarchisme théocratique à la théocratie républicaine ; — facteurs politiques, inintelligence et égoïsme de la bourgeoisie, lenteur du clergé à s’adapter à la société nouvelle, apprentissage insuffisant de la liberté par le peuple ; — facteurs religieux enfin, nécessité pour l’Église de défendre contre l’évolutionnisme l’idée de l’immutabilité du dogme et de l’immobilité de la révélation, difficulté de tracer avec précision les frontières du spirituel et du temporel, etc. Tous ces facteurs interviennent à leur place, au moment où ils ont agi. Il n’y a rien à reprendre à cette analyse, qui, en même temps qu’elle suit l’évolution des idées de Lamennais sous la pression des faits et sous l’influence dominante de son caractère passionné, retrace un chapitre important de l’histoire politique et religieuse du xixe siècle.

Nous ne ferons qu’une restriction. Il serait injuste de reprocher à M. l’abbé Boutard de n’avoir pas fait ce qu’il n’a pas voulu faire. Il rentre dans le plan qu’il s’est imposé de n’étudier la doctrine mennaisienne que dans la mesure où elle est engagée dans la vie de Lamennais. Mais il nous semble qu’une autre tâche pouvait tenter l’historien et le philosophe : analyser la doctrine de Lamennais pour elle-même et pour son intérêt proprement philosophique. M. l’abbé Boutard analyse au passage les écrits de Lamennais ; au passage aussi il montre la valeur prophétique de ses idées ; mais ce n’en est pas moins l’intérêt biographique qui domine, l’intérêt philosophique restant au second plan. La publication récente de la plus grande partie des inédits de Lamennais doit permettre au philosophe de reconstituer la doctrine mennaisienne et d’en suivre l’évolution logique : elle n’est certainement pas, comme l’étude de M. l’abbé Boutard nous le donne quelque peu à craindre, l’œuvre exclusive d’un caractère et des circonstances, mais avant tout celle d’une intelligence, et d’une des plus synthétiques, des plus éprises d’idées et de logique que notre xixe siècle ait produites.

Au moins, si cette étude doit être tentée, les deux volumes de M. l’abbé Boutard seront-ils, pour celui qui la tentera, d’un très grand secours.

William Godwin (1756-1836), sa vie, ses œuvres principales, la « Justice politique », par Raymond Gouras, docteur ès lettres, professeur au lycée de Carcassonne. 1 vol. in-8 de xvi-320 p. Paris, Alcan, 1908. — Cet ouvrage nous inspire de mélancoliques pensées. Que M. Gouras soit laborieux et consciencieux, la bibliographie qui achève l’ouvrage, les notes qui se trouvent au bas de chaque page, en témoignent. Que d’ailleurs William Godwin, l’auteur un instant fameux de l’Enquête sur la Justice politique, fondateur de l’anarchisme philosophique, et dont le grand ouvrage eut la fortune de provoquer la retentissante réponse de Malthus, soit digne d’une étude attentive, nous sommes prêts à le reconnaître. Mais il faut avouer, d’autre part, que le livre de M. Gouras et une compilation gauche et indigeste. Biographie. Puis analyse de la Justice politique qui dégénère en « extraits » du livre, puis en analyses des précurseurs, plus ou moins éloignés de Godwin. Puis analyse des principaux romans qu’il écrivit ; résumé de la polémique que souleva, en Angleterre, la Justice politique, et se prolongea plusieurs années, jusqu’au début du xixe siècle. Tout cela décousu, sans proportion, presque illisible. Une traduction de la Justice politique ou une publication d’extraits, aurait coûté moins de peine à M. Gouras, et rendu plus de services au lecteur français. À qui la faute ? À M. Gouras ? Non, mais surtout à la mauvaise organisation du travail scientifique. M. Gouras est un bon ouvrier dont le travail s’est trouvé gâché, faute d’un maître.

Die Weltanschauung Spinozas, par