Page:Revue de métaphysique et de morale, supplément 6, 1910.djvu/9

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en elle la synthèse d’éléments hétérogènes que l’épanouissement d’une évolution unilatérale. La voie suivie par M. Pikler n’est pas la moins bonne.

Die Maschinen-Théorie des Lebens, par Julius Schultz. 1 vol. in-8 de 258 p., Göttingen, Vandenhœck und Ruprecht, 1909. – L’auteur n’est pas un biologiste professionnel et il ne prétend pas apporter des faits nouveaux dans le débat entre mécanistes et vitalistes. Il estime qu’en tant que philosophe il n’a point à considérer avant tout la fécondité de telle ou telle hypothèse, qu’il doit se soucier principalement de l’intelligibilité et de la cohérence des théories biologiques. Il ne veut pas concéder à Ostwald que la vérité d’une affirmation se mesure aux prévisions vérifiées qu’elle permet et qu’il y ait pseudo-problème (Scheinproblem) toutes les fois que le choix de la solution est sans influence sur notre conduite. La question est pour lui de savoir quelle conception de la vie s’accorde le mieux avec les exigences de l’entendement humain. Ces exigences sont celles que Kant a signalées. En sorte que la tâche que se donne notre auteur est en somme celle de déterminer si c’est le mécanisme ou si c’est le vitalisme qui est le prolongement le plus logique de la théorie kantienne de la connaissance.

Nous avouerons que la question ainsi posée perd à nos yeux une bonne part de son intérêt. Il est douteux qu’une seule doctrine biologique soit satisfaisante pour l’entendement. De plus, la valeur d’une théorie scientifique doit-elle être appréciée d’après la plus ou moins facile acceptation de cette théorie par l’entendement ? Celui-ci ne peut-il assouplir les cadres qu’il porte en lui, échappe-t-il seul à toute évolution, ne peut-il s’accoutumer à des conceptions qui d’abord le choquaient ?

La documentation de l’auteur est abondante, mais il ne nous semble pas qu’il ait toujours restitué aux théories vitalistes récentes et surtout à celles de Driesch leur véritable sens, leur profondeur. Quand il affirme (p. 86) qu’il faut revenir aux idées saines de Claude Bernard et de Dubois-Reymond en abandonnant les idées plus nouvelles des vitalistes contemporains, on peut se demander s’il a lu l’article de Claude Bernard sur la définition de la vie (dans la Science expérimentale) et tant d’autres pages où le biologiste français, tout en insistant sur le déterminisme des phénomènes physiologiques, a signalé l’originalité des processus vitaux.

Der junge De Spinoza. Leben und Werdegang im Lichte der Weltphilosophie, par Stanislas von Dunin-Borkowski S. J. 1 vol. in-4 de xxiii-634 p., avec quinze gravures et sept fac-similé. Munster en Westphalie, Aschendorff, 1910. — L’important ouvrage de M. Von Dunin-Borkowski se présente aux spinozistes sous le jour le plus séduisant : aucune recherche n’a été épargnée par l’auteur dans le travail de préparation, et l’exécution matérielle du livre témoigne d’un soin tout particulier ; la bibliographie biographique, l’iconographie sont aussi complètes que possible. D’autre part, le titre pique la curiosité : la matière proprement historique sur laquelle M. Von Dunin-Borkowski pouvait s’appuyer directement est assez mince, puisqu’il limite son étude à la date de 1656, époque où l’exclusion solennelle de la synagogue oblige Spinoza à « brûler ses vaisseaux ». En faisant pénétrer la lumière de la philosophie mondiale sur le coin obscur où mûrissait le génie de Spinoza, M. Von Dunin-Boskowski a fécondé son sujet ; il l’a transformé en une revue des différentes civilisations auxquelles Spinoza pouvait être initié soit par les traditions de l’enseignement hébraïque, soit par les préoccupations de ses contemporains. Il fait revivre la culture que les enfants juifs puisaient dans le Talmud, puis il remonte à l’interprétation mystique de la kabbale, à la « crise des études bibliques » et aux premières tentatives d’exégèse rationaliste, aux influences panthéistes des néo-platoniciens juifs et arabes. Au sortir de la synagogue, c’est le duel engagé dans le siècle entre le scepticisme et le cartésanisme, c’est l’essor nouveau des sciences, la transformation de la psychologie et le renouvellement de la géométrie. Dans les dernières « années d’apprentissage », vers 1654, Hobbes poserait devant Spinoza le problème des rapports entre la philosophie et la religion, et les « libertins » le problème du rapport entre la philosophie et la morale ; double occasion de montrer quelle était, à l’époque de Spinoza, la diversité des confessions chrétiennes et des traditions morales. En remplissant ce vaste cadre, M. Von Dunin-Borkowski a reconstitué l’atmosphère virtuelle dans laquelle baignait un penseur du xviiie siècle « né juif et hollandais ». Dans quelle mesure cette atmosphère a-t-elle été celle de Spinoza ? Quelle part prise à chacune de ces influences possibles dans la formation du spinozisme ? Le plan suivi par M. Von Dunin-Borkowski ne lui permettait guère de faire des réponses précises à ces questions, qui supposeraient une