Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/179

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C’est bien là l’essence métaphysique que nous cherchons. Le tout est antérieur à ses parties, sans avoir aucune existence en dehors d’elles. Il est un infini concret et synthétique. De là vient que nous ne pouvons percevoir l’être réel d’un homme, d’un animal : ils sont des synthèses qui échappent à notre pensée analytique. Car elles « ne résultent ni de la réunion, ni même de la concordance de leurs parties auxquelles elles sont antérieures, et pour les effectuer il faudrait les faire résulter de la concordance de leurs parties qui seraient ainsi données avant elles[1] ».

Telle est la conception de la vie que nous propose M. Dunan ; il en déduit une théorie du temps et de l’espace. « Les métaphysiciens semblent toujours considérer comme le trait caractéristique de la nature du temps et de l’espace l’extériorité absolue et l’indépendance complète de leurs parties entre elles[2]. » C’est-à-dire que la durée effective se composerait d’un nombre infini d’instants indivisibles. Mais une telle conséquence est inadmissible. D’abord la conception de l’instant indivisible est contradictoire, car, ou bien il est égal à zéro et alors on ne peut, quand bien même on en supposerait un nombre infini, former une durée quelconque, en les additionnant ; ou bien ils ont une durée quelconque, si petite soit-elle : mais alors ils sont divisibles et composés d’autres instants pour lesquels se poseront les mêmes difficultés. Il faut donc renoncer à composer le temps et l’espace de parties extérieures. Mais nous pouvons résoudre cette difficulté en remarquant que le temps considéré comme composé de parties extérieures les unes aux autres, la succession, en un mot, n’est qu’une représentation empirique du temps ; sans doute, le temps est divisible à l’infini, multiple et composé, mais il renferme aussi un principe synthétique, un principe de simultanéité, de coexistence des moments du temps. « Il faut donc, sous peine d’être contraint de rejeter l’idée même du temps, reconnaître que le présent n’est pas un instant indivisible, qu’il est une durée,… et qu’enfin cette durée est simultanée puisque, si elle ne l’était pas, elle ne saurait être présente[3]. » Le temps métaphysique résulte donc de la synthèse de la succession et de la simultanéité. La même argumentation s’appliquerait à l’espace. Une autre difficulté se présente : comment le temps est-il rattaché à l’espace ? On répond que le mouvement opère cette synthèse. Si l’on veut dire par là que le temps et l’espace sont donnés antérieurement au mouvement et donnés dans leur sens empirique comme des touts juxtaposés, il est clair que le mouvement ne saurait opérer une telle synthèse et précisément pour les raisons que nous avons données plus haut, que dans une telle conception le mouvement procéderait par composition d’éléments indivisibles. « S’il est inadmissible que le mouvement se déploie à travers un temps et un espace dont l’existence serait supposée logiquement antérieure à la sienne, on est forcé d’admettre que c’est du mouvement lui-même que le temps et l’espace

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