Page:Revue de métaphysique et de morale - 1.djvu/384

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d’ouvrir publiquement la discussion. Admet-on au contraire qu’il est impossible à la raison de ne pas poser le problème philosophique, impossible à la raison spéculative de ne pas chercher à coordonner les lois de la nature et à la raison pratique de ne pas fixer des règles à la conduite humaine, et que ce problème, posé par la raison, ne peut être traité et résolu que suivant une méthode rationnelle, alors on demandera que l’État use de son droit pour assurer le développement de la pensée philosophique. Il ne s’agit pas de donner à une école particulière la sanction, absolument vaine d’ailleurs, d’une approbation officielle, ni de créer un dogmatisme : il s’agit d’encourager et de stimuler l’esprit critique, d’instituer un ordre de discussions. Il ne conviendrait même pas, selon nous, de désirer une chaire de métaphysique ; de pareilles chaires veulent être non occupées, mais remplies ; il y faut du génie, tout simplement. Et d’ailleurs il est possible qu’il n’y ait plus de place pour un problème spécial qui serait le problème métaphysique, lorsque, à côté des chaires de Psychologie et d’Esthétique, deux chaires auraient été fondées pour la discussion des problèmes de la Logique et de la Morale.

Ce n’est pas un simple effet du hasard que nulle part, dans l’enseignement supérieur français, il n’existe ni chaire de logique ni chaire de morale. La raison en est, au contraire, assez aisée à indiquer. Dans les pays de civilisation germanique, en effet, la pensée moderne s’est développée à l’intérieur même de la pensée religieuse, l’élargissant et la transformant à sa suite. En France l’orthodoxie catholique s’est maintenue immuable ; l’esprit laïque n’a pu que la heurter violemment : de là rupture, et constitution de deux domaines entre lesquels il n’y a pas eu un point de contact. Une sorte de concordat interdisait de franchir le fossé, et des deux parts il fut respectueusement observé.

La conséquence, dans le domaine spéculatif, c’est que la science apparut comme une discipline qui est imposée à la raison au même titre que la religion, qu’elle doit accepter sans examen et sans contrôle, comme si elle lui était étrangère ; en un mot c’est le triomphe de l’esprit « positif». Ajoutez que les applications pratiques de la science, dont l’étendue et la variété frappaient toutes les imaginations, attiraient l’attention sur la réalisation matérielle de la vérité, et exaltaient l’inventeur au détriment du pur théoricien. D’autre part, l’échec que subit le système cartésien de l’univers entraîna dans sa ruine la conception profonde qui l’avait inspiré, l’idée d’une