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sons ; car la notion de raison précède la notion de cause. Qu’une essence définie enferme des propriétés nécessaires, cela n’est vrai que dans l’abstrait : une telle relation est trop loin de l’existence pour qu’on puisse dire qu’elle représente un possible au sens plein du mot ; elle ne contient rien qui ressemble à un événement ; rien n’y est accident ; rien n’y succède à rien ; tout y est en même temps ; tout y à sa raison, mais rien n’y dépend d’une cause. Pour que quelque chose arrive à l’essence, comme parle Aristote, il faut quelque action extrinsèque, quelque relation non essentielle qui pose un problème nouveau ; une telle relation peut seule réellement remplir le temps, et permettre à la cause et à l’effet de s’unir en s’opposant ; pour donner quelque réalité au mouvement et au changement, il faut affirmer que tous les mouvements et changements forment un univers plein ; en d’autres termes, ils ne peuvent être pensés comme réels que dans un univers plein. Il faut done dépasser la notion de changement essentiel, parce que le changement essentiel, comme par exemple les vicissitudes d’une masse soumise à une force, ne peut pas être un changement réel ; mais, pour dépasser cette notion, il faut d’abord la poser. Une fois que l’on connaît bien ce que serait le changement s’il était seul, on joint à ses conditions une où plusieurs autres conditions, elles-mêmes définies, sous l’idée de cause, c’est-à-dire sous l’idée que notre changement est lié réciproquement à ces autres, comme à tout autre, et n’est réel avec les autres qu’à cette condition. Dès lors, et ces précautions une fois prises, on distingue très bien la pensée de la cause de la pensée de l’effet ; car la cause est ce qui joint un changement à l’autre, et l’effet est ce qui résulte de cette union ; d’où l’on pourrait tirer une règle pour la recherche des causes, quelque définition et quelque tracé simplifié de ma causalité devant toujours précéder l’expérience. Au reste, c’est bien ainsi, c’est bien eu joignant réciproquement ensemble des notions spécifiées, que les mathématiciens construisent la mécanique ; et l’on parlerait bien en disant qu’ils procèdent par supposition de systèmes clos, qu’ils composent ensuite les uns avec les autres : par exemple il faudra considérer quelque bateau simplifié, dans un fluide simplifié, si l’on veut approcher peu à peu du problème réel que nous posions tout à l’heure : et ce système clos était fait déjà de systèmes clos, chacun étant alors modifié du dehors par les autres, et l’accident résultant, en quelque sorte, du heurt des essences. Seulement notre dialectique nous fait penser