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revue de métaphysique et de morale.

mémoire de M. Bergson sur le parallélisme ne pouvait rien apprendre[1].

Mais après avoir remarqué que la conscience enferme tout l’être et tout le possible, se borner à dire que les idées abstraites ne peuvent la représenter, parce que, en ce sens encore, la partie ne peut représenter le tout, c’est sans doute trop peu dire. D’autant qu’alors cette Liberté, dont il faut bien rendre compte, se trouve en quelque façon trop prouvée, on dirait presque trop libre, et réellement sans appui. Si peu que l’on considère la conscience, on voit assez que la Liberté n’y est pas seule en jeu et que l’action s’y prend à des conditions dont on ne peut pourtant pas, maintenant, aller chercher la source hors de tout connaître, et, pour tout dire, hors de l’Univers. La conscience est certainement à ce point de vue une union d’opposés, et le déterminisme ne lui est pas moins essentiel que la liberté ; mais c’est encore trop simplifier que d’opposer ainsi deux termes, dont l’un au moins est évidemment fait de plusieurs notions opposés encore les unes aux autres. Et si l’on voulait commencer par une analyse sommaire qui fût capable de donner une idée satisfaisante du problème à résoudre, on ne parlerait pas mal en disant que la conscience à pour fonction d’unir en opposant. La conscience, en fait, consiste à faire tenir beaucoup de choses ensemble, toutes choses ensemble, en les laissant distinctes. Et, sans doute, il y a dans la conscience un total de faits et un fleuve d’impressions ; mais ce n’est pas tout dire. Il y a dans ce mouvement qui emporte tout, un autre mouvement qui retient tout, une activité d’un genre inimitable, qui est proprement activité ou pensée. Le cours des saisons, voilà un changement ; mais quand je passe de l’axe incliné de la terre au cours des saisons, voilà un autre genre de changement que le premier suppose ; car le cours des saisons lui-même n’est saisi que s’il est construit : en fait il n’existe à la fois qu’une saison, ou plutôt un instant de saison ; il faut, pour que je perçoive le cours des saisons, qu’il y ait dans la conscience à la fois souvenir et prévision ; il faut que le passé et l’avenir soient en un sens dans le présent et en même temps soient, d’une certaine façon, rejetés hors du présent. Qu’est-ce que percevoir un mouvement, sinon le faire bien des fois en pensée pendant qu’il se fait, allant sans cesse en avant et en arrière, comme le bon chien de

  1. Voir Hamelin, p. 344 et note.