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E. Chartier.Éléments de la représentation par Hamelin.

berger, et posant en un sens le tout du mouvement comme présent, pour nier aussitôt le tout comme présent. À ce point de vue la conscience suppose une espèce de lutte de soi avec soi et comme une oscillation perpétuelle entre des incompatibles qui sont néanmoins inséparables. Toutes les notions supposent un jeu d’oppositions de ce genre, et non pas seulement des notions abstraites comme être et néant, unité et nombre, cause et effet, point et espace, ligne et surface, surface et volume, mais encore des notions concrètes, dont on peut presque dire qu’on les voit et qu’on les touche, comme droite et gauche, loin et près, grand et petit, chaud et froid. Supposons chaque chose à part, et non unie à son opposé ; supposons la conscience fixée, en quelque sorte, et, autant que nous pourrions concevoir cela, nous irions alors à un sommeil plus profond que le sommeil, chaque lieu n’étant alors qu’en lui et pour lui, chaque instant n’ayant que sa durée ; ce serait le pur néant ; ou plutôt, car c’est comme une magie, ce néant même s’anime, ces mondes sans conscience se heurtent, tourbillonnent, se repoussent et s’attirent, forment enfin un monde ; monde sans soleil, monde baigné dans une lueur crépusculaire et sans ombres, monde qui, semble-t-il, n’est plus pour personne, parce qu’il n’intéresse plus personne, mais qui est pourtant dans la conscience encore, et opposé en elle au monde présent, si vivement éclairé par nos désirs. Ainsi la conscience ne peut pas se nier sans s’affirmer : elle contient et dépasse toute conception d’elle-même. Il faut, comme disait Kant, qu’originairement elle soit unité synthétique absolue, plus vaste à son premier moment supposé que tout ce que l’on voudra y mettre. Des remarques de ce genre, quoique faites sans ordre et sans fil conducteur devaient pourtant conduire à cette idée que le ressort de toute construction possible était ici cette union et séparation des opposés, er il était naturel après cela de chercher le cas le plus simple de l’union des opposés, et de partir de là pour y joindre peu à peu les autres. On pouvait même sans doute prévoir que cette construction s’arrêterait à la conscience, et apercevoir que le jeu des opposés laisserait une place à des concepts comme finalité et liberté, en même temps qu’il fournirait un moyen de les définir. Sans doute notre philosophe, après des méditations de ce genre, aperçut-il dans un éclair la route à suivre, du commencement à la fin[1].

  1. Au sujet de la conscience, nous n’insistons que sur l’idée principale, qui est aussi, semble-t-il, la plus difficile à saisir. Pour donner une idée de la