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G. FREGE.le nombre entier.

lumineux, ayant une forme, occupant un lieu, serait différent du soleil considéré en tant que distinct, abstraction faite de sa nature ou de sa forme. On dirait que celui-ci est créé par l’acte de le considérer et, puisqu’un objet extérieur ne peut être créé ainsi, il faudrait que ce fût une idée subjective ou quelque chose de semblable dans l’âme de la personne faisant cette considération et cette abstraction. Chacun, en considérant ainsi le soleil, se ferait une telle idée à lui, distincte de celle d’une autre personne. Alors les pluralités seraient subjectives aussi. Cela ne s’accorderait pas avec le fait que les naturalistes donnent une information objective, quand ils précisent le nombre des pistils dans une fleur.

Quel peut être l’effet de l’abstraction faite de la nature ou de la forme de l’objet ? Est-ce que celui-ci perd par cela sa nature et sa forme ? Il paraît que c’est l’effet voulu par M. Ballue ; mais il est évident qu’un objet extérieur ne peut être changé de cette manière. Quant à l’idée que quelqu’un se fait d’un objet, il n’est pas nécessaire qu’il y ait abstraction, pour qu’elle n’ait pas les qualités de l’objet même. Une idée du soleil n’est pas un corps matériel, lumineux. Une telle idée a pourtant des qualités différentes en général de celle que la même personne se fait de la lune. L’abstraction dont parle M. Ballue peut effacer la différence de ces idées ; mais où reste alors la pluralité ?

Une autre difficulté est liée étroitement à celle-ci. M. Ballue dit : « La pluralité la plus simple est formée par une unité adjointe à une autre unité ». S’il y a plus de deux unités, il y a plusieurs pluralités formées par une unité adjointe à une autre unité ; l’article défini au singulier employé par M. Ballue n’est donc pas exact. Il faudrait dire : Les pluralités les plus simples sont formées, etc. Mais le nombre Deux n’est ni une pluralité particulière de cette sorte ni le symbole d’une telle pluralité. Peut-être on se rapprocherait plus de la vérité en disant que c’est l’espèce ou la classe des pluralités formées d’une unité adjointe à une autre unité. Mais pour que cela fût exact, il faudrait avoir une bonne définition des termes unité et pluralité. Les lecteurs de cette revue peuvent facilement constater que le premier n’est pas employé uniformément par les écrivains. En rapprochant la thèse de M. Ballue : « La pluralité la plus simple est formée par une unité adjointe à une autre unité » de ce que disent MM. Le Roy et Vincent dans leur article, paru dans le numéro de septembre, p. 519 : « La possibilité pour l’esprit de former indéfiniment des nombres entiers en ajoutant l’unité à elle-même », nous voyons que ceux-ci