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REVUE DE MÉTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

prendre aisément qu’une certaine connaissance de l’ordre des parties de notre corps précède rationnellement la connaissance de l’ordre des objets. Nous ne connaissons les autres corps qu’autant que nous connaissons d’abord notre corps ; c’est pourquoi les premiers mouvements véritablement utiles des mains sont ceux qui les font se saisir et se palper l’une l’autre et parcourir la surface de notre corps. Mais il ne faut pas conclure de cela que nous devions connaître entièrement notre corps par le toucher avant de pouvoir connaître aucun objet ; la moindre connaissance locale de notre corps nous suffit pour que nous ayons l’idée vague d’une série fixe de sensations possibles indépendantes de nous. Plus tard, à mesure que nous connaîtrons mieux les objets, en même temps nous perfectionnerons la connaissance de notre corps.

Quant aux sensations dont nous connaissons d’abord l’ordre fixe, elles sont nécessairement très vagues ; elles doivent consister en des douleurs plus ou moins vives résultant de la pression, et en impressions de froid et de chaud. Ces dernières, qui ont peu d’importance relativement aux autres dans notre perception actuelle, en ont au contraire vraisemblablement une très grande dans les premiers tâtonnements de la perception tactile ; et cela tient à ce qu’elles ne supposent rien autre chose que le contact et qu’elles ne sont pas modifiées dans leur nature même par la position ou le mouvement de nos membres. Au contraire les sensations de pression dépendent beaucoup plus des mouvements que nous faisons que de la nature même du corps, ce qui fait que tant que nous n’avons pas appris à connaître notre mouvement, nous ne tirons de ces sensations que des données continuellement variables. Par exemple le même corps métallique me donnera toujours la même impression de fraîcheur ; mais j’en recevrai des sensations de pression très variables suivant que j’appuierai plus ou moins fortement la main contre sa surface.

Pour la même raison on comprend que les sensations de pression variable deviennent, par l’éducation, lorsque nous apprenons à connaître notre mouvement, les plus instructives de toutes, car une même action rendra différentes, pour deux corps différents, deux sensations d’abord identiques. Par exemple, si je pose la main sur un bloc de glaise humide ou sur une surface métallique, l’impression de pression est la même tant que je n’appuie pas ma main contre la surface ; mais si je l’appuie, ce mouvement donne, pour le métal une