Page:Revue de philosophie, volume 6.djvu/12

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culation ? Cette question se présente, avant toute autre. Nous sommes ici au début, et nous sommes au centre, de la discussion. En effet, depuis les travaux de Leibniz jusqu’aux plus récents essais de logique algorithmique, il s’agit toujours de substituer provisoirement l’image au concept, le symbole à la réalité, et une élaboration mécanique et indirecte du sujet au travail immédiat de la rétlexion.

La méthode de Leibniz « se propose, avant tout, de ménager les forces de l’esprit et d’augmenter sa capacité, en faisant de l’imagination l’auxiliaire et, en partie, le substitut, de l’entendement, en soulageant la mémoire par des signes sensibles, en déchargeant la pensée déductive au moyen de formules toutes faites ». Pour ne pas s’égarer ou s’attarder dans le labyrinthe de la déduction, l’esprit doit saisir un fil conducteur : filum cogitandi, filum meditandi. Ce guide sur, ce fil d’Ariane, il faut le demander à la méthode mathématique. Figurons les idées par des signes, et leurs relations mutuelles par des formules. À « l’analyse logique des concepts » substituons « l’analyse matérielle des écritures ». Les lois de la pensée se traduiront par des règles intuitives et mécaniques. Doublement mécaniques : « d’abord en ce qu’elles commandent des transformations physiques et matérielles, ensuite parce qu’elles deviennent des habitudes machinales de l’imagination, auxquelles la main du calculateur obéit automatiquement[1] ».

Que faut-il, pour que le raisonnement métaphysique et moral rivalise d’évidence avec le raisonnement géométrique ? Que dans les matières métaphysiques et morales on établisse une Caractéristique qui fixe « nos pensées trop vagues et trop volatiles ». Les autres sciences pourront revendiquer pour elles-mêmes la rigueur et la certitude dont on fait jusqu’ici l’apanage des seules mathématiques, lorsqu’à l’exemple des mathématiques, elles emploieront l’imagination comme aide et comme substitut de l’entendement.

Voilà le principe du « mathématisme ». On se préoccupe de perfectionner le mécanisme du raisonnement philosophique, pour élaborer, de façon plus rapide et plus sûre, la vérité cher-

  1. L. Couturat : La Logique de Leibniz, p.89-92.