Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 1.djvu/144

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tée là. — C’est le diable, me répondit-il, avec une conviction qui ne paraissait pas redouter de ma part la moindre contradiction, et voici pourquoi il l’a apportée. Voyez-vous d’ici le ruisseau de la Moine qui se tord dans la vallée ? — Oui. — Eh bien ! vous distinguez un endroit où l’on pourrait le traverser sur des pierres qui sortent à fleur d’eau, si au milieu il n’y avait le vide qui devait être rempli par le rocher contre lequel nous sommes appuyés. (Effectivement il paraissait fait de manière à s’y emboîter parfaitement, et à faire disparaître la solution de continuité qu’y jetait son absence.) — Eh bien ! continua-t-il, c’est le diable qui faisait ce pont pour voler les vaches des paysans, il n’y manquait plus que cette pierre, qu’il apportait sur son épaule, oubliant que le jour où il voulait terminer son ouvrage était le dimanche. Tout à coup il aperçut la procession de Roussay, et la procession de Roussay l’aperçut ; le prêtre fit le signe de la croix : au même instant, les forces de Satan lui manquèrent, et il fut obligé de déposer ici, pour toujours, cette pierre qu’il ne peut plus soulever : voilà pourquoi ce pont est interrompu, et pourquoi ce rocher tremble. — C’était une explication comme une autre, force me fut de m’en contenter ; si je lui avais donné la mienne, il est probable qu’elle lui eût paru plus absurde encore peut-être que celle qu’il me donnait ne me le paraissait à moi-même.

Dans ce village de Roussay, une aventure m’arriva.

Un malheureux, un ancien militaire, mourant de faim, ne trouvant d’ouvrage nulle part, s’avisa, pour jeter quelque peu de pain à ses enfans qui lui en demandaient, de blanchir deux sous qui lui restaient, et d’essayer de les faire passer pour des pièces de trente sous. La ruse fut découverte, l’homme mis en prison, le jury rassemblé, l’article du code appliqué, et les galères à perpétuité accordées comme faveur au lieu et place de la mort, qu’il avait, disait l’avocat-général, certes bien méritée.

Cette fois, l’entremetteur du bourreau en avait été pour ses frais d’éloquence, et l’exécuteur des hautes-œuvres, au