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passait et repassait, comme si rien d’inaccoutumé ne se fût trouvé là. Cependant la horca était toujours debout. Je m’en approchai. Le corps du malheureux y était encore suspendu, roide et immobile. Deux factionnaires le gardaient. Quelques enfans riaient et jouaient autour. Il y en avaient qui passaient sous lui, et comme leurs mères le leur avaient recommandé, lui baisaient les pieds. Une indulgence est attachée, dit-on, à chacun de ces baisers.

J’osai regarder le corps du supplicié. Ô mon Dieu ! le beau jeune homme ! comme ils l’avaient défiguré. Son visage était bleu ! sa langue pendante et ramassée sur sa bouche. Oh ! mon Dieu ! si Mariquita l’eût vu ainsi !

Le jour baissait ; je me retirais lentement. Lorsque je fus au coin de la place de la Cebada en passant devant la tablilla[1], auprès de laquelle, le long du mur de l’hospice de la Latina, étaient assis quatre frères de paz y caridad, je m’arrêtai un instant pour jeter quelques cuartos dans leur bassin. Je poursuivais mon chemin ; un homme se trouva sur mon passage et nous nous heurtâmes. Comme je le considérais, je frémis de tout mon corps ; — c’était encore le bourreau ! je reculai, saisi d’abord et glacé d’effroi ; puis, ce premier mouvement de terreur réprimé, je revins sur mes pas. — Je voulus considérer encore une fois de près le visage de cet homme.

Il s’était arrêté au coin de la place de la Cebada devant la tablilla. Là, ayant échangé quelques mots avec les frères de paz y caridad, il resta debout à la même place, appuyé sur son bâton, et parut attendre. Il était pâle, plus pâle encore que le matin, et regardait fixement du côté de la horca. — Que venait-il faire ? Qu’attendait-il ? Quoi qu’il dût se passer, je résolus de le voir encore ! — Le bourreau demeurait immobile, l’œil toujours tourné vers la horca. Quelques minutes se passèrent ainsi. Le jour

  1. Le jour de l’exécution, dès le matin, la confrérie de paz y caridad fait placer une autre tablilla au coin de la rue de Tolède et de la place de la Cebada.