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Le ministre se doit à lui-même de relever le gant qui lui est jeté, et de se justifier à la face du pays. Jusqu’ici il ne l’a pas fait, et à coup sûr cependant le temps ne lui a pas manqué.

M. Mauguin s’est chargé de répondre à M. Périer ; le début de son discours promettait mieux et plus qu’il n’a tenu. À notre avis c’est un grand tort, et souvent irréparable, de généraliser à tout hasard et à tout propos une discussion spéciale. La défense et l’attaque perdent en précision et en vigueur ce qu’elles gagnent en largeur et en étendue. Pourquoi ne pas s’en tenir aux évènemens de Lyon ? N’est-ce donc pas, je vous le demande, une assez belle et riche manière d’improvisation que la guerre civile organisée au sein de la seconde ville de France ? À quoi bon quitter le terrein de la question pour évoquer de vieilles et inutiles haines, avec lesquelles on n’aura jamais le dernier mot ? Que sert de raviver et de ramener au grand jour toutes ces hontes acquises dès aujourd’hui à l’histoire ? car, malgré le beau résumé de M. Barrot, qui est venu donner à la tribune un extrait de sa plaidoirie, vraiment Souchet et M. Carlier n’avaient rien à faire avec M. Dumolard et le général Roguet. Si M. Barrot eût pris en main la discussion tout entière, sans nul doute il eût substitué à l’âpreté quelque peu déclamatoire de M. Maugin sa logique lumineuse et savante, et il n’eût pas permis au président du conseil de venir se justifier personnellement, se disculper d’un crime qu’on ne lui imputait pas, quand il fallait défendre et démontrer son système politique ; il n’eût pas laissé sans réponse cette question si pressante et si vraie : « Si vous blâmez, si vous n’avez pas voulu, pourquoi ne pas punir les coupables que la justice a désignés ? » Mais M. Barrot se tient à l’écart, sans qu’on sache pourquoi ; si l’ambition lui ferme la bouche, il pourrait bien se tromper.

Le rapport de M. Périer présentait plusieurs et d’étranges contradictions que l’opposition a signalées, et qui jusqu’ici sont demeurées inexplicables. Comment concevoir, en effet, que les mêmes motifs qui ont porté le ministre à laisser subsister le tarif, l’aient ensuite décidé à conseiller au préfet de le laisser tomber en désuétude ? La logique qui a pu conduire M. Périer à cette monstrueuse inconséquence est assurément mauvaise, et, faute d’une prémisse dans le syllogisme, le sang a coulé ! Quand on gouverne un pays, et surtout un pays comme la France, dans le temps où nous vivons, quand les passions et les partis sont aux prises, il faut y regarder à deux fois avant d’employer le télégraphe.

Il n’a pas dit non plus comment la mission de clémence donnée au duc d’Orléans se conciliait avec les pleins pouvoirs du maréchal Soult. Il fallait punir ou pardonner, et le pardon que la raison et la justice réclament s’arrangeait mal d’une entrée triomphale, mèche allumée. Entrer dans Lyon qui ouvre ses portes, comme dans une ville prise d’assaut ! belle victoire vraiment ! Avez-vous donc si grande envie de lutter de ridicule et de bravoure avec la restauration, et voulez-vous que l’on compare la prise de Lyon avec la prise de Pampelune et du Trocadéro ?