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pique. La latitude était le point important. Un octant et le beau ciel de la torride suffisaient à cette difficulté. Le lieutenant se hâta de rassurer à cet égard les passagers, que cette circonstance effrayait.

L’équipage n’avait pas encore pu déjeuner, et l’espoir d’une nourriture abondante était perdu pour lui. Il fallut rationner tout le monde. Il était impossible de faire du pain, parce que l’eau douce manquait et que d’ailleurs on n’avait pas de bois pour chauffer le four. On fut contraint de se contenter de biscuit, hélas ! en bien petite quantité.

Quand ce premier repas fut pris, et l’on peut croire que la gaîté ne l’assaisonna point, Adolphe appela sur l’arrière le capitaine et M. Dupuis : — J’ai à m’excuser, capitaine, dit-il, pour tout ce que j’ai fait aujourd’hui. Je viens loyalement avouer mon tort. Je sais que j’ai manqué à ce que je devais de déférence à vous et à votre second ; je sais que je vous ai ravi en un moment le respect de l’équipage et la confiance des passagers ; mais je vous ai vu hésiter, et…

— Qui vous a dit que j’hésitais monsieur ?

— Capitaine, ce n’est pas la première fois que nous courons la mer ensemble. Je vous tiens pour un brave homme que le danger n’effraie point ; mais qu’il paraît déconcerter. Votre seconde pensée est toujours bonne ; la première est lente, timide, et ici tout dépendait de la première résolution. Vous ne la preniez pas ; il fallait pourtant…

— Il fallait peut-être attendre, monsieur, reprit le capitaine.

— Attendre, quand l’incendie serpentait dans la cale en ruisseaux dévorants ! Attendre, quand le choc de l’air avec la matière attaquée par le feu pouvait tout perdre ! Nous n’avons que trop attendu, capitaine, car qui sait si nous sauverons le navire ?

— Votre jeunesse vous a fait oublier le respect que vous me deviez. Je reconnais que vous avez pris des dispositions sages mais pour ménager ma position, pour ne pas livrer mes cheveux blancs au mépris de l’équipage, ne pouviez-vous pas me communiquer votre projet ?