— Maintenant que je suis plus calme, capitaine, j’avoue que je l’aurais dû. Mais si vous saviez quel puissant motif m’a fait agir ainsi, vous me pardonneriez.
— Je vous pardonne, Adolphe, quoique vous m’ayez déshonoré ; oui, vous m’avez déshonoré, ajouta-t-il une larme dans les yeux, et cependant j’ai bien servi autrefois ; plus d’un des vaisseaux de l’état le sait. Votre père m’a vu, à Trafalgar, à Cadix et dans l’Inde ! Alors aussi j’étais jeune ; alors aussi j’avais l’esprit vif, le coup-d’œil prompt et sûr, l’âme vigoureusement trempée. On disait de moi ce qu’on dit de vous : — C’est un bon officier ! Alors, il m’est arrivé de me moquer des vieillards, de me jouer de leur ancienne réputation, de chercher à les faire rougir de leur âge, de les avertir durement, comme vous l’avez fait aujourd’hui, monsieur, qu’il est temps de quitter le métier de la mer, quand on a perdu la force et l’énergie.
— Ah ! croyez bien, capitaine, dit le lieutenant en lui pressant cordialement la main ; croyez bien que je n’ai pas eu cette intention cruelle.
— Non ; mais l’effet est le même… je ne naviguerai plus !
Un soupir profond accompagna cette dernière parole, qui fit sur le cœur d’Adolphe une impression douloureuse.
— Pardon, cent fois pardon, capitaine !
— Vous m’avez puni bien sévèrement des présomptueuses actions de ma jeunesse. Puissiez-vous, Adolphe, ne jamais trouver un homme qui me venge de vous ! Retirez-vous à temps, quelque faible que soit votre fortune ; la misère vaut mieux que le cuisant chagrin qui suit un affront pareil à celui que j’ai reçu.
M. Dupuis n’avait pas mêlé un mot à cet entretien ; il avait aussi à se plaindre du lieutenant, mais il n’osait lui faire des reproches. Il se hasarda cependant après quelques minutes de silence à lui dire :
— Vous donnez des retraites plus vite, monsieur le lieutenant, et avec moins d’égards, que ne le fait le ministre. Deux en un instant ! Par les cinq plaies de notre Seigneur, cela est dur ! car, ce qui me reste de mieux à faire, s’il plaît au ciel par l’intercession de Marie que nous arrivions à la Martinique, c’est