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Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/340

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REVUE DES DEUX MONDES.

assaillirent, et nous courûmes le risque de perdre la vie ; car nous n’avions aucune médecine à prendre, l’armée n’étant pas même munie d’une pharmacie : nous n’avions que de l’eau bourbeuse de marre à boire. Un sergent allemand, et un homme ou deux moururent le soir, et ceux qui survécurent, perdirent leurs cheveux et continuèrent à éprouver pendant plusieurs mois des nausées continuelles, produites par l’huile essentielle de la noix ; tout ce que nous mangions nous semblait infecté de ce goût désagréable. » Après avoir eu la fièvre jaune à Angostura, l’auteur rejoignit l’armée à Guadualito, petite ville sur les limites des plaines de Varinas. Le sol y étant sablonneux et couvert d’épines dans plusieurs parties, rendait les marches de l’infanterie très pénibles et très difficiles. Le manque d’eau, car c’était l’été, obligeait souvent la cavalerie à abandonner ses chevaux, et chacun portait sa selle sur son dos, jusqu’à ce qu’il trouvât une nouvelle monture. Le phénomène du mirage se voit souvent dans ces immenses plaines désertes, mais les chevaux et le bétail ne se laissent pas prendre comme les hommes à ses fausses apparences ; ils savent toujours reconnaître, par quelques indications imperceptibles à l’homme, le voisinage de l’eau. Ils soufflent alors avec force dans cette direction, et soudain leur fatigue se change en activité ; on n’a plus besoin d’éperons, on ne peut les retenir ni les conduire autre part, que là où les guide leur instinct.

« Une armée souffrant de la soif offre l’aspect d’une déroute complète à l’approche de l’eau. Il est impossible, dans ces occasions, de faire garder aucune subordination ; chacun quitte son rang, et court en avant avec ces yeux hagards qui dénotent les tourmens de la soif. Ce serait la destruction certaine d’une armée, si l’ennemi, étant en possession de l’eau, elle venait à s’en approcher de cette manière. Cette eau est verte assez ordinairement, et les insectes y pullulent ; souvent les cadavres des chevaux, ou d’autres animaux qui ont eu juste assez de force pour y arriver et y mourir, flottent à la surface ; ajoutez à cela, que les bœufs et les mulets de l’armée s’y jettent à la fois, et s’y roulent quand leur soif est apaisée, et on pourra se faire une idée de la boisson réservée au dernier arrivant. »