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ce que c’est ; elle s’est convaincue par elle-même qu’elle aurait beau faire, qu’il se trouverait toujours le lendemain de la bataille des bravi d’une nouvelle espèce, pour visiter les morts, et rapporter sans coup férir les dépouilles opimes. Elle est arrivée au plus cruel et au plus amer de tous les désabusemens ; elle en est venue à douter d’elle-même, de l’avenir. Grâces au ciel, elle croit encore à son droit, et la raison la sauvera.

L’incendie qui s’est déclaré sur les deux heures du matin, et qui heureusement n’a dévoré que les manteaux et les pelisses, n’a pas même interrompu la fête. La waltz a continué jusqu’au matin.

Le bal de l’Opéra, malgré la relation officielle du Moniteur, était loin d’être brillant. Pour ma part, je le déclare, dût-on m’accuser de pruderie, il m’a semblé que, sauf le nombre immense des assistans, la salle de la rue Lepelletier ressemblait bien plus à une guinguette qu’à un salon de bonne compagnie, la décoration de la scène et du foyer était mesquine et de mauvais goût. Le public des danseurs était traité assez cavalièrement. On avait enlevé les portes des loges comme pour une représentation gratuite. Une danseuse ne pouvait y entrer pour se reposer, sous peine de s’enrhumer. Les glaces et les rafraîchissemens étaient détestables, et rappelaient la noce de Plantade. Si on eût servi du thé, je ne sais pas ce qui fût arrivé. Au reste, les promeneurs ne se gênaient pas : j’en ai vu se couvrir la tête en plein foyer.

La composition des quadrilles était singulièrement mêlée, plusieurs femmes invitées se sont retirées confuses en voyant leurs vis-à-vis. C’est une belle chose à coup sûr de secourir les pauvres, mais ce n’est pas une raison pour laisser sa femme et sa fille balancer en face d’une courtisane ou d’une femme plus qu’équivoque. On dira qu’il était impossible de prévenir ce malheur très réel assurément. Il y avait cependant un moyen victorieux de l’empêcher, c’était que les dames patronnesses ne fissent pas du placement de leurs billets une affaire de vanité, et prissent la peine de savoir à qui elles les donnaient.

Autrement, si en croyant aller au bal, on se trouve dans la rue, ou pire encore, à l’avenir on restera chez soi.

Sur les dix heures, le roi et la famille royale sont arrivés, et ont été salués par d’unanimes acclamations. La promenade du roi et de son fils dans la salle a été à-peu près silencieuse et devait l’être. C’était politesse et justice. À quoi bon traverser le bal en se faisant précéder d’un état-major ?

Vers trois heures, les rangs se sont éclaircis, et la fête a pris un caractère nouveau et acceptable. On savait à qui parler, on se trouvait. La waltz et la galoppade exécutées sur une échelle immense offraient un grand et magnifique spectacle. Seulement les hommes étaient trop nombreux, et jetaient de la monotonie sur les groupes de promeneurs.

Il y avait des jeunes gens bienheureux et chez qui la vanité doublait le plaisir du bal. Tenir dans ses bras une femme jeune et belle, et se voir l’objet de mille regards, entouré, envié ! de trois heures à cinq heures ils ont dû tout oublier, mais ils se souviendront de leur rêve.