Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/617

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
602
REVUE DES DEUX MONDES.

créature ? — Le corps, tel qu’il était couché sur la table, la couronne au front, et les fleurs dans les mains, fut placé dans une petite bière ouverte, toute garnie et doublée de satin bleu clair, et ornée de nœuds de ruban blanc, de distance en distance. Le léger cercueil fut emporté hors de la boutique par quatre des petites filles. Les autres les suivirent après s’être partagé les fleurs qui restaient dans les vases, et les avoir attachées à leurs ceintures. Ce simple et touchant cortége s’étant rangé et disposé sous la galerie, se mit bientôt en marche, s’éloignant lentement et traversant en silence la foule des enfans et des curieux qui se trouvait sur son passage.

Moi-même, j’avais suivi le convoi à quelque distance. Au moment où, prenant à gauche, par la porte Moresque, il descendit la rue Basse, qui mène au Campo Santo[1], je me retournai et j’aperçus sur le seuil de la boutique du sombrerero, la jeune femme s’appuyant au bras de son mari, et jetant un long regard vers l’extrémité de la galerie, vers la porte par laquelle le cortége venait de sortir et de disparaître. Cette vue me serra le cœur. — Les pauvres époux, comme je les sentais seuls ! Un morne silence allait de nouveau régner dans la maison qu’avaient égayée quelques jours, les cris, le sourire et les pleurs de l’enfant ! Le berceau demeurait vide encore une fois ! — Ils se restaient cependant à eux-mêmes ! c’était bien moins un souvenir, d’ailleurs, qu’une espérance qu’ils avaient à pleurer, et puis ils la pleureraient ensemble ! Dieu pouvait en rendre une autre à leur amour, et celle-là, ne la plus tromper ! — Oh ! j’avais besoin vraiment de compter pour eux sur ces consolations !


Le jour baissait. Afin de rejoindre le convoi, je sortis de la place, et je pris la rue Basse. Comme je passais devant la porte de l’hospice de Santa-Cruz (l’hospice des enfans trouvés et exposés, el hospital de los expositos), je vis une femme voilée s’en éloigner précipitamment, à mon approche ; et en même temps,

  1. Le cimetière.