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Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/620

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UNE SOIRÉE À TOLÈDE.

l’Alcazar, tapissait les rues et les maisons de ses rayons bleuâtres et veloutés. Une brise parfumée, venue de la vega, rafraîchissait l’air embrasé. À ce souffle, à cette fraîcheur, à cette douce lumière, les fenêtres hermétiquement fermées et doublement voilées pendant le jour, sous les rideaux et les jalousies, s’étaient ouvertes de tous côtés, comme ces fleurs pudiques qui n’osent que le soir s’épanouir. — Les jeunes femmes, les señoritas en cheveux et sans mantilles, étaient assises à leurs miradors, ou, penchées aux balcons, suivaient les passans d’un œil inquiet, interrogeant le bruit de leurs pas ; — parlant à quelques-uns cette langue mystérieuse, dont les doux mots s’expriment par le regard, le mouchoir ou l’éventail. — Quant à moi, promeneur désintéressé, j’observais tout, je voyais tout, — sans tout comprendre, — devinant néanmoins beaucoup. — Plus d’une main blanche se glissant à travers les barreaux des croisées basses des rez-de-chaussée était tendrement pressée par des lèvres pleines de reconnaissance et qui remerciaient longuement. Au coin de ruelles écartées, plus d’une petite porte s’ouvrait soudain et se refermait bien vite sur mainte tournure de jeune homme qui peut-être attendait ou faisait depuis long-temps attendre ; mais qui se plaignait peu, j’imagine, de sa patience, ou qu’on ne songeait guère à gronder. Aux portes des maisons, au milieu de cercles formés par les voisins assis en rond sur les dalles ou sur le pavé, de jeunes garçons et de jeunes filles dansaient des fandangos avec les castagnettes, au son des guitares, au chant des seguidillas. Je me promenai bien tard dans la ville, descendant, remontant ses rues escarpées, rencontrant de tous côtés les mêmes groupes, les mêmes fêtes. Ce n’était partout ainsi que joie douce, plaisir discret, mystérieux rendez-vous. Lorsque, fatigué d’avoir erré si long-temps, je rentrai, vers dix heures, à la posada[1], j’éprouvais cependant comme un sentiment d’envie et de mécontentement. — Quoi donc, me disais-je ! Nul ici ne songe encore à s’endormir, si ce n’est peut-être

  1. Auberge.