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facilement prévenue. N’eût-il pas été suffisant pour cela qu’au lieu de diviser les bâtimens de l’escadre en plusieurs convois qui devaient se rallier en route, on n’en eût fait qu’un seul, afin qu’ils partissent ensemble, fissent route ensemble et arrivassent ensemble ? Si toutefois il était plus à propos de marcher en convois séparés, s’il était tellement à craindre d’encombrer la mer, comment se faisait-il que toutes nos forces ne fussent pas encore ralliées ? Lors de l’expédition d’Égypte, cinq cents bâtimens, partis de dix ports différens, à un jour, presque à une heure indiqués, s’étaient bien trouvés à un même rendez-vous. La Méditerranée est-elle devenue plus difficile depuis cette époque, ou bien les chefs moins heureux dans leur combinaison ? Mais, à la seconde supposition, c’était plus que de l’impatience que nous éprouvions : c’était de l’irritation, de la colère. Il nous était pénible, insupportable, odieux de nous sentir arrêtés par une main où nous croyions reconnaître l’Angleterre à l’entrée d’une carrière, au bout de laquelle quelque gloire nous attendait peut-être. C’était pourtant là ce qui, à tout prendre, était le plus probable. À notre sortie de Toulon, nous avions rencontré une frégate turque, qui se rendait en France. Le salut de l’amiral, qui avait précédé le sien, nous avait appris qu’elle était montée par un personnage de distinction, et notre séjour prolongé dans la baie de Palme nous donnait à croire, avec quelque vraisemblance, que le personnage était un envoyé de la Porte, porteur de quelques propositions d’accommodement sur lesquelles on délibérait à Paris.

Pendant tout ce temps, s’il ventait, nous gagnions la pleine mer à force de voiles, pour revenir peu d’heures après chercher de nouveau l’abri de la côte. Par les jours de calme et de soleil, nous mettions aussi toutes nos voiles dehors ; puis, de même que l’oiseau qui étend quelquefois les ailes, sans quitter la branche où il se balance, nous demeurions immobiles, à cela près d’un léger tangage. C’était vraiment un de ces mauvais rêves, où l’on veut s’enfuir, où l’on croit s’élancer ; mais où l’on se débat vainement sous une force invisible, qui paralyse vos efforts et vous cloue en place.

Ce ne fut qu’au bout de dix jours que nous sortîmes enfin de cet état de doute et d’anxiété. Le général en chef appela ses officiers-généraux à une conférence. J’y accompagnai le lieutenant-général, et là nous apprîmes les nouvelles. Notre relâche dans la baie de Palme avait eu pour unique motif la nécessité de rallier