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LITTÉRATURE AMÉRICAINE.

d’une tour, dans un endroit aussi solitaire ; — mais ce n’était peut-être, comme moi, qu’un simple voyageur ! Peut-être était-ce bien aussi quelque contrebandier, quelque bandoulier ! Que m’importait au surplus ? Grâce au ciel et à ma pauvreté, je n’avais rien à perdre. Je demeurai donc assis, continuant à ronger mes croûtes.

Mais l’étranger conduisit son cheval vers le ruisseau, tout près de l’endroit où je me trouvais, de sorte que je pus le considérer à mon aise. À ma grande surprise, je m’aperçus qu’il portait le costume moresque avec une cuirasse d’acier et un casque brillant, sur lequel étincelaient les étoiles. Son cheval était aussi harnaché selon la mode des Maures, et leurs grands et larges étriers pendaient à sa selle. L’étranger le conduisit, ainsi que je l’ai dit, au bord du ruisseau ; alors l’animal plongea la tête dans l’eau presque jusqu’aux yeux, et but si long-temps, que je m’imaginai qu’il en allait d’abord crever.

— Camarade, dis-je, votre cheval boit bien : c’est bon signe, quand un cheval plonge ainsi bravement sa tête dans l’eau.

— C’est le moins qu’il se désaltère à son souhait, dit l’étranger avec un accent étrange, voilà bien une année que cela ne lui est arrivé.

— Par Santiago, repris-je, votre cheval l’emporte même sur les chameaux que j’ai vus en Afrique. Mais approchez, camarade, vous m’avez quelque peu la mine d’un soldat. Voulez-vous vous asseoir et partager le repas d’un soldat ?

Il est de fait que dans cet endroit désert je sentais le besoin d’un compagnon, et que j’étais tout disposé à m’arranger même d’un infidèle. En outre, comme ne l’ignore point votre excellence, un soldat ne s’inquiète jamais beaucoup de la foi de ceux en compagnie desquels il se trouve, et là où règne la paix, les soldats de tous pays sont camarades.

Le gouverneur fit un nouveau signe d’assentiment.

— Comme je disais donc, poursuivit le soldat, j’invitai le Maure à partager mon souper tel quel, et je ne pouvais vrai-