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plus grand bonheur humain est de voyager avec une jolie femme dans une bonne chaise de poste anglaise, sur une bonne chaussée anglaise. C’est aussi pour moi une des sensations les plus agréables que de rouler dans une voiture commode et de m’y étendre à mon aise, tandis que mes yeux se réjouissent des images qui passent devant moi, comme dans une lanterne magique. Selon qu’elles différent, mon imagination devient tantôt sérieuse, tantôt joviale, tragique ou comique ; et je me peins avec délices les esquisses qui m’apparaissent à chaque instant. Cependant si mon imagination se fatigue, je lis ou je dors, Dieu merci, avec une facilité sans égale. Ma vie est si bien arrangée, après une longue expérience, que je puis avoir ce que je désire au moment même, sans rendre la vie trop dure à mes domestiques. Quelquefois lorsque le temps est bon, et la contrée belle, je fais quelques milles à pied ; enfin j’ai ici liberté complète. Mais je reviens à mon affaire. Je roulai toute la nuit après avoir vu, le soir, un singulier effet au ciel. Du haut d’une montagne, je crus voir devant moi un mont noir et immense, au pied duquel s’étendait un lac sans fin. Il se passa un assez long temps avant que je pusse me convaincre que ce n’était qu’une illusion d’optique, formée par les brouillards et par les déchirures des nuages. Mais une réalité plus belle m’attendait au jour dans le pays de Galles. Ce rêve de nuages semblait m’avoir prédit la magnificence de la vallée de Llangollen, site qui, à mon gré, surpasse de beaucoup toutes les beautés des pays du Rhin, et qui prend une originalité toute particulière par la forme inaccoutumée des pics et des anfractuosités de ces montagnes. Un fleuve rapide, la Dee, circule en mille sinuosités fantastiques sur des plaines vertes, ombragées d’épais feuillages, d’où s’élèvent avec raideur, de chaque côté, de hautes montagnes qui se couronnent tantôt de ruines séculaires, tantôt de maisons de plaisance modernes, quelquefois aussi de petites villes de fabriques, dont les cheminées, hautes comme des tours, dégagent une épaisse fumée ; ou bien de groupes de rochers isolés à l’aspect grotesque. La végétation est prodigieusement riche, et montagnes et vallées sont couvertes de grands arbres, dont les ombres diversement colorées ajoutent tant de charme et de grâce à la beauté du paysage. Au milieu de cette nature voluptueuse, s’élève, avec un effet d’autant plus grandiose, un seul, long, noir, chenu et escarpé pan de montagne, couvert seulement d’her-