esprits timides ; il n’y fallait faire aucune attention dans une conjoncture importante où il s’agissait du salut de la patrie, puisque le véritable agresseur est sans doute celui qui oblige l’autre à s’armer, et à le prévenir par l’entreprise d’une guerre moins difficile, pour en éviter une plus dangereuse, parce que de deux maux il faut choisir le moindre. Après tout, que les ennemis du roi l’accusassent d’être agresseur, ou qu’ils ne le fissent point, cela revenait au même, et ne changeait rien au fond de l’affaire, la conjuration des puissances de l’Europe contre la Prusse étant toute formée[1]. » Aussi Frédéric ne craignit pas de commencer ; il entama lui-même cette période aventureuse, cette série de batailles, de revers et de victoires, cette épopée militaire, dont le héros disparaît quelquefois dans la poudre, semble près de demeurer enseveli dans d’irrémédiables défaites, survit, se venge, et frappe le dernier coup comme il a frappé le premier. Aussi, en sauvant la Prusse, la guerre de sept ans l’électrisa ; elle fut pour votre monarchie si récente un souvenir qui alimenta les âmes : le passé lui manquait ; cette guerre, en se gravant dans les esprits, sut les remplir de patriotisme et de poésie ; on aime mieux son pays après l’avoir défendu ; la patrie, comme un tendre ami, devient plus chère encore, quand on a tremblé pour elle.
La France, monsieur, se trouve placée dans des conjonctures fort sérieuses ; elle est descendue de la situation morale où l’avait mise, il y a bientôt deux ans, l’émancipation de juillet ; au dehors, elle n’est pas honorée, elle n’est pas puissante comme elle a le droit de l’être ; intérieurement elle est divisée et point heureuse. Aussi il n’y aurait pas à s’étonner si les cabinets trouvaient les circonstances favorables à des attaques combinées : la société française se retrouverait alors dans une de ces crises qui tuent ou qui ravivent et renouvellent ; elle aurait, pour parler la langue de Milton, à peser le danger avec des pensées profondes :
- ↑ Histoire de la guerre de sept ans, chap. 3, pag. 80, 81.