Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 7.djvu/567

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
563
ROMANS CARLOVINGIENS.

Ah ! ne plaise-t-il jamais à Dieu qui monta au ciel,
Que mauvais homme vous ait au flanc pendue.
En mon vivant je vous ai long-temps eue.
De mon vivant (vous) me serez ôtée.
Telle (autre) n’y aura-t-il jamais en France la parfaite !

Ces vingt-et-une lignes forment, dans le texte, une tirade de vingt-et-un vers, dont toutes les rimes sont en ue, comme chenue, pendue, etc. C’est, ainsi que vous l’avez entendu, le tableau d’une situation héroïque fort touchante ; et quel que soit son degré de mérite, sous le rapport de l’art, ce tableau est un, complet, tel que l’auteur a su et voulu le faire.

Maintenant, ce qui vient immédiatement après ce tableau, ce n’est pas la mort de Roland, qui doit le suivre et le suit en effet dans le plan de l’action, c’est une tirade de vingt-cinq vers, laquelle n’est autre chose qu’une répétition du tableau précédent, seulement en d’autres termes, et avec des variantes dans les détails et les accessoires. C’est une seconde version d’un seul et même incident. La voici en entier, sauf trois ou quatre vers que je n’entends pas, et qui me semblent inintelligibles. Vous la comparerez facilement à la première.

Le duc Roland voit la mort qui le poursuit,
Il tient Durandart, qui ne lui est pas étrangère,
Grand coup en frappe au perron de Sartagne,
Tout le pourfend et tranche et brise,
Et Durandart ne ploie, ni n’est endommagée !
(Alors) toute sa douleur s’épand et déborde :
Ah ! Durandart, que vous êtes de bonne œuvre !
Ne consente jamais Dieu que mauvais homme la tienne !
J’en ai conquis Anjou et Allemagne ;
J’en ai conquis et Poitou et Bretagne,
Pouille et Calabre et la terre d’Espagne ;
J’en ai conquis et Hongrie et Pologne,
Constantinople qui sied dans son domaine,
Et Mouberine qui sied en la montagne,
Berlande en pris-je avec ma compagnie,
Et Angleterre et maint pays étranger.
Qu’à Dieu ne plaise, qui tout tient en son règne,
Que mauvais homme la ceigne, cette épée.