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par la porte, les seules commodités que vous offrent ces humbles hôtelleries. Le long d’une des façades règne une galerie, aux poteaux de laquelle vous attachez vos chevaux, et qui vous présente un espace suffisant pour tendre votre hamac pendant que se prépare votre modeste repas. Vous y attendez, dans les bras du sommeil, que la fraîcheur du soir vous permette de continuer votre route. Là, rien qui vous rappelle les jouissances de la vie civilisée. Quelque chose vous dit qu’elle n’a paru que d’hier sur cette terre, et qu’elle n’a pas encore eu le temps de s’y acclimater. Mais qu’y venez-vous faire, si vous songez encore à ce que vous avez laissé derrière vous ?

Le lendemain, au soleil couchant, nous entrâmes dans la chaîne des Orgues. Ses sommets dentelés, d’où s’élancent des pitons inégaux comme les tuyaux de cet instrument, lui ont fait donner ce nom. L’araponga criait dans les montagnes ; sa voix, semblable au frémissement d’une lime sur l’acier sonore, retentissait au loin dans la solitude. Des bandes de perroquets criards passaient sur nos têtes, se dirigeant vers leur arbre accoutumé, qu’ils quittent chaque matin, pour aller chercher leur nourriture dans les bois. De temps en temps un couple d’aras solitaires, perchés sur la cime de quelque géant des forêts, prenaient leur vol à notre approche : ils avaient disparu, que leur voix rauque se faisait encore entendre dans le lointain. Avant de parvenir au pied de la chaîne principale, dont les flancs se dressent devant vous, abruptes et déchirés par les torrens, il vous faut traverser une suite de collines étagées comme les gradins d’un amphithéâtre et séparées entre elles par des vallées, tantôt resserrées, tantôt étendues, couvertes de bocages ou de savannes, désertes ou servant de nid à quelque plantation isolée. Là, vous marchez d’enchantement en enchantement. Tout ce que vous avez rêvé de lieux riants où la vie s’écoulerait comme une onde paisible, de solitudes inconnues créées pour vous seul, d’Élysées dans un autre monde, s’efface et s’anéantit devant ces réalités de la nature. À mesure que vous avancez, les traces de l’homme deviennent plus rares. Aux cultures qui se pressent dans la plaine a succédé le coin de terre que l’esclave affranchi,