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et l’école poétique était en plein train de se transformer par la force des choses, quand la révolution de juillet, en éclatant brusquement, abrégea l’intervalle de transition, et lança par contre-coup tout ce qui avait haleine, dans une troisième marche dont nous pouvons déjà noter quelques pas. Jusqu’ici, depuis deux ans passés, il ne paraît plus qu’il existe aucun centre poétique auquel se rattachent particulièrement les essais nouveaux d’une certaine valeur. La dispersion est entière ; chacun s’introduit et chemine pour son propre compte, fort chatouilleux avant tout sur l’indépendance. Les poètes renommés, cependant, ont continué de produire. M. de Lamartine, en moisson dans l’Orient, a chanté de beaux chants de départ ; Béranger va nous donner ses adieux. Les Feuilles d’automne ont révélé des richesses d’âme imprévues, là où il semblait que l’imagination eût tout tari de ses splendeurs. La prose de Stello si savante, si déliée, a fait acte de poésie, autant par les trois épisodes qu’elle décore, que par cette analyse pénétrante de souffrances délicates et presque inexprimables qu’il n’est donné qu’à une sensibilité d’artiste de subir à ce point et de consacrer. Mais indépendamment de ces talens établis qui poursuivent leur œuvre, en la modifiant, la plupart, et avec raison, selon une pensée sociale, voilà qu’il s’élève et se dresse une troisième génération de poètes, dont on peut déjà saisir la physionomie distincte, et payer l’effort généreux. C’est au premier abord quelque chose de plus varié, de plus épars qu’auparavant, de plus dégagé des questions d’école, de plus préoccupé de soi et de l’état de la société tout ensemble. L’art, ou plutôt les vétilles de l’art, la bordure traînante du manteau, qui, chez quelques disciples de la précédente manière, était relevée et troussée en chemin avec un soin superstitieux, fait souvent place ici à un désordre, à une profusion négligente, qui n’est ni sans charme ni sans affectation. L’auteur de Marie pourtant a gardé chaste et noué le long vêtement de la Muse ; espèce de Bion chrétien, de Synésius artiste, en nos jours troublés ; jeune poète alexandrin qui a maintenant rêvé sous les fresques de Raphaël, et qui mêle sur son front aux plus douces fleurs des landes natales une feuille cueillie au tombeau de Virgile. La philosophie discrète et sereine, qui transpire dans sa poésie, continue peut-être trop celle du moment antérieur ; elle est douée toutefois