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propre parti que contre les royalistes ses adversaires ! Au milieu de ces combats journaliers, de ces voyages, de ces incidens sans nombre, Benjamin Constant trouvait encore le loisir de composer des pamphlets, des ouvrages de longue haleine, tels qu’un cours de politique constitutionnelle, d’écrire des articles polémiques dans plusieurs journaux quotidiens, et de jeter des aperçus pleins d’intérêt et de science dans les feuilles littéraires. La nuit, il prenait des notes, il compulsait, il accumulait des matériaux, et le matin, avant que de se rendre à la Chambre, il avait déjà fatigué la plume de son secrétaire, à qui il dictait sans cesse des articles et des discours. Cette activité intellectuelle ne se ralentit pas un instant dans ses dernières années, lorsque la vieillesse et les infirmités avaient déjà courbé sa haute stature. On le voyait arriver à la Chambre, toujours quelques momens avant la séance, vêtu de son uniforme de député, brodé à l’argent, afin d’être sans cesse prêt à monter à la tribune où ce costume était de rigueur ; sa tête blonde et blanche couverte d’un vieux chapeau rond, et tenant sous son bras une redingote, des livres, des manuscrits, des épreuves d’imprimerie, le budget et sa béquille. Dès qu’il s’était débarrassé de tout ce bagage, et qu’il était assis sur son banc, à l’extrémité de la gauche, il commençait à écrire et à expédier une infinité incroyable de lettres et de billets, qui mettaient sur les dents tous les huissiers de la Chambre ; ensuite ou plutôt en même temps, il corrigeait les feuilles de son nouveau livre, prenait des notes pour répliquer à l’orateur qui se trouvait à la tribune, répondait à toutes les questions de ceux qui se pressaient autour de lui pour lui demander des renseignemens sur diverses matières, s’agitait pour demander la parole, et lorsque son tour arrivait, il semblait prendre au hasard quelques chiffons de papier au milieu des paperasses qui l’entouraient, et s’acheminait lentement à la tribune. Une fois là, il n’y avait plus moyen de s’occuper des singularités de ce personnage.

Son front pâle et sa longue figure puritaine s’animaient difficilement, et sa parole lente, débitée d’un ton de voix monotone, étonnait d’abord ceux que sa haute réputation d’orateur avait attirés à la chambre ; mais peu à peu sa voix s’élevait, devenait vive et sonore, ses grands yeux bleus s’éclairaient d’une lumière soudaine,