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LITTÉRATURE COMPARÉE.

fondemens parmi nous : ce triple univers qu’a bâti si fortement sa puissante main, il ne l’a pas tiré du néant ; ces espaces du monde invisible que peuplèrent de tant de créations sublimes sa foi, son génie et sa haine ; ces espaces, alors qu’il y entra, d’autres les avaient parcourus. Il y avait des voyages dans la voye d’enfer et dans le purgatoire de saint Patrice, avant le mystérieux voyage du grand poète ; Dante, qui a fait des vers en provençal et qui connaissait notre langue, a pu prendre dans quelques-unes de ces légendes qui furent répandues de si bonne heure dans le midi et peu après dans le nord de la France, l’idée de sa vision. On voit bien un poète islandais du onzième siècle rencontrer par avance les plus sombres imaginations du Dante, ou plutôt les emprunter de même à la France, où il était venu les chercher pour les mêler bizarrement aux traditions du Nord, comme Dante, deux siècles plus tard, à ses croyances théologiques et à ses passions républicaines.

Un genre de littérature dont l’origine nous appartient plus complètement, ce sont ces contes et fabliaux, peinture familière et railleuse de la vie privée, où n’ont pas dédaigné de puiser largement nos génies les plus originaux, Rabelais, Molière et La Fontaine. Avant eux, les conteurs italiens ont sans cesse emprunté aux nôtres les sujets de leurs nouvelles, et ainsi ils nous doivent en partie le genre peut-être le plus national de leur littérature. — Bocace surtout, Jean Bocace, ce joyeux enfant de Paris, qui respira dès le berceau un air imprégné de malice et de vieille gaîté gauloise, garda toujours quelque chose de l’humeur joviale et moqueuse de ceux qu’un caprice prophétique du hasard avait faits ses compatriotes. Ni le goût des inventions romanesques, où, docile à son temps, il exerça sa jeunesse, ni l’admiration de la gravité latine trop empreinte en son langage cicéronien, ni un vif sentiment de la poésie grecque dont il fut un restaurateur passionné, n’effacèrent complètement son baptême français. Qui sait combien de ses meilleures nouvelles il apprit enfant, peut-être, dans les rues de Paris avec de jeunes compagnons, au bout de la table où les compères du marchand florentin oubliaient son jeune fils pour se régaler de bons contes dont il a fait des récits immortels !

Notre littérature chevaleresque, messieurs, a franchi les Pyrénées aussi bien que les Alpes. Sans parler du poème d’Alexandre,