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À la nuit tombante, nous arrivâmes à Bex. La voiture s’arrêta à la porte d’une de ces jolies auberges qu’on ne trouve qu’en Suisse ; en face était une église, dont les fondations, comme celles de presque tous les monumens religieux du Valais, paraissent, par leur style roman, avoir été l’œuvre des premiers chrétiens.

Le dîner nous attendait. Nous trouvâmes le poisson si délicat, que nous en demandâmes pour notre déjeuner du lendemain. Je cite ce fait insignifiant, parce que cette demande me fit assister à une pêche qui m’était complétement inconnue, et que je n’ai vu faire que dans le Valais.

À peine eûmes-nous exprimé ce désir gastronomique, que la maîtresse de la maison appela un grand garçon, de dix-huit ou vingt ans, qui paraissait cumuler dans l’hôtellerie les différentes fonctions de commissionnaire, d’aide de cuisine et de cireur de bottes. Il arriva à moitié endormi, et reçut l’ordre, malgré des bâillemens très expressifs, seule espèce d’opposition que le pauvre diable osât faire à l’injonction de sa maîtresse, d’aller pêcher quelques truites pour le déjeuner de monsieur ; et elle m’indiquait du doigt. Maurice, — c’était le nom du pêcheur, — se retourna de mon côté avec un regard si paresseux, si plein d’un indicible reproche, que je fus ému du combat qu’il était forcé de se livrer pour obéir, sans se laisser aller au désespoir. — Cependant, dis-je, si cette pêche doit donner trop de peine à ce garçon. (La figure de Maurice s’épanouissait à mesure que ma phrase prenait un sens favorable à ses désirs.) Si cette pêche, continuai-je… La maîtresse m’interrompit : — Bah ! bah ! dit-elle, c’est l’affaire d’une heure, la rivière est à deux pas ; allons, paresseux, prends ta lanterne et ta serpe, ajouta-t-elle, en s’adressant à Maurice, qui était retombé dans cette apathie résignée habituelle aux gens que leur position a faits pour obéir. — Et dépêche-toi.

Ta lanterne et ta serpe pour aller à la pêche !… Ah ! dès-lors Maurice fut perdu, car il me prit une envie irrésistible de voir une pêche qui se faisait comme un fagot.

Maurice poussa un soupir, car il pensa bien qu’il n’avait plus d’espoir qu’en Dieu, et Dieu l’avait vu si souvent en pareille situation sans songer à l’en tirer, qu’il n’avait guère de chance qu’il fît un miracle en sa faveur.