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sous les yeux, et nous feuilletons en ce moment un carnet écrit tout entier de la main de Constant, et destiné à servir de table thématique aux mémoires autobiographiques qu’il préparait lorsque la mort est venue le surprendre au pied de la tribune. Comme nous ne refuserons à personne la libre communication de ce manuscrit, nous allons en extraire quelques phrases détachées, mais très significatives par elles-mêmes et surtout par leur ensemble.

Parmi les détails circonstanciés d’un voyage en Allemagne, je lis d’abord : « Je joue et je perds mon argent à la roulette. » Puis, quelques pages plus loin : — « Je gagne. Achat avec gain de la maison rue Neuve-de-Berry, première cause de mon éligibilité.

« Le duc de B…e m’engage à écrire sur la responsabilité des ministres. — Le jeu commence à m’être défavorable, parce que je ne pense plus qu’à madame R… — 5 mars 1815. Je me jette à corps perdu du côté des Bourbons. — Madame R… m’y pousse. — Chateaubriand prétendait que tout serait sauvé si on le faisait ministre de l’intérieur. »

Je ne veux pas poursuivre plus long-temps ces citations précieuses que tout le monde pourra vérifier dans nos bureaux. J’en ai dit assez pour montrer l’enchaînement des idées et des passions de Benjamin Constant. Je n’ignore pas que ces révélations indiscrètes peuvent déplaire au parti libéral aussi bien qu’au parti légitimiste. Je n’ignore pas que la presse démocratique et la presse royaliste ne verront pas sans regret livrer à la compassion et peut-être au dédain les amitiés et les sympathies politiques d’un homme qu’elles chérissent.

Mais le silence volontaire, excusable et nécessaire dans les discussions de la tribune, n’a rien à faire avec les devoirs du biographe. Ce n’est pas notre faute si la vérité est ainsi faite, si la lumière blesse les yeux qui se fermaient pour l’éviter. Que nous importe à nous qui ne sommes engagés dans aucune coterie parlementaire, que nous importe l’étrange relation d’un boudoir, d’une roulette et d’un drapeau ? C’est une chose triste et pitoyable, à la bonne heure ! J’en conviens comme vous, mais qu’y faire ?

Je ne vois dans tout ceci que trois grandes pitiés que je déplore ; mais depuis quand la tristesse fait-elle obstacle à l’évidence ? Il n’y a que les enfans qui se fâchent contre la vérité, et qui s’emportent contre la maladie pour n’être pas obligés de se guérir.

On pardonne, s’écrie le gazetier légitimiste, on pardonne au West-End-Review, recueil obscur et ignoré, ces calomnies contre une des grandes vertus de notre siècle. Mais on ne peut pardonner à la Revue des Deux-