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PHILOSOPHIE DE SCHELLING.

pouvons, par conséquent, assigner aucune époque, au moins dans le sens empirique du mot, à la réalisation complète des desseins de la providence.

Si nous nous représentons l’histoire sous la forme d’un drame, dont chacun des personnages joue le rôle que bon lui semble, nous ne pouvons supposer une marche raisonnable à ce drame confus, qu’en admettant que c’est un même esprit qui parle par toutes les bouches ; que c’est le poète lui-même qui fait parler tous les acteurs, de manière à faire aboutir à un dénoûment déterminé d’avance la multitude des incidens survenant dans le cours de la pièce. Si le poète se trouvait indépendant de son drame, en dehors de son drame, nous ne serions plus nous-mêmes que de simples acteurs jouant ce drame. Mais, si au contraire, il n’est qu’un avec nous, si loin d’être indépendant de nous, il arrive qu’il se découvre peu à peu lui-même, par le jeu même de notre propre liberté ; que lui-même n’existe qu’à la condition de cette liberté ; il en résulte que nous aussi nous sommes poètes, du moins en partie, car nous sommes de moitié dans la création des rôles que nous jouons.

Le lien harmonique unissant la liberté et la nécessité, ne peut donc jamais passer complètement à l’état d’objectivité, se montrer tout-à-fait objectif, tant que doivent subsister les apparences de la liberté.

L’absolu agit par toutes les intelligences ; je veux dire que l’action de l’intelligence est elle-même absolue, qu’elle n’est ni libre, ni non libre, mais tout à-la-fois libre et non libre, c’est-à-dire libre absolument, c’est-à-dire nécessaire. Si l’intelligence se manifeste en dehors de l’absolu, c’est-à-dire en dehors de cette identité universelle, où n’existe aucune différence ; si elle parvient à avoir la conscience de soi, à se différencier elle-même, ce qui a lieu lorsque les produits de ses actes se sont objectivés, ont passé dans le monde de l’objectivité ; il arrive alors qu’elle se scinde en liberté et en nécessité.

La liberté ne se trouve qu’en un seul lieu du monde : au-dedans de nous. Nous sommes par conséquent toujours et partout libres. C’est avec raison que nous l’affirmons ; mais en même temps, aux premiers pas que fait notre liberté dans le monde objectif, elle tombe inévitablement sous l’empire des lois de la nature.