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hymne de gloire, fit un chant de deuil. Son Napoléon à lui était mort ; le général d’Arcole dont le dévoûment semblait être si vaste, qu’il voulait s’étendre sur tous ; cet homme qui devait promener d’Occident en Orient le verbe fraternel, et détruire l’égoïsme de la patrie par son exemple, puisqu’il servait la France, étant né Corse ; cette auréole, ce rêve, ce soleil que l’artiste saluait à son aurore, espérant que l’Allemagne aurait, elle aussi, part à sa lumière, lorsqu’il serait monté jusqu’au zénith ; tout cela s’était éteint, évanoui ; tout cela s’était abîmé sous les coussins du trône. L’artiste n’avait plus qu’à se lamenter dans une lente et funèbre mélodie. En effet lorsque le grand homme, ébloui par toutes les splendeurs de la gloire devient égoïste, lorsque le serviteur des serviteurs de Dieu, comme disait Grégoire vii, cherche à tout absorber en lui seul ; le poète arrache de son front sa couronne de myrte et de laurier, dépouille la tunique de fête, s’éloigne et se lamente comme Jérémie, et du fond de sa triste solitude exhale de longues plaintes qui se répandent ensuite parmi le peuple, tellement qu’au milieu des acclamations et des Te Deum, toujours le lugubre motif monte et s’élève, semblable aux murmures douloureux des captifs barbares liés au char triomphal du Romain. Le grand artiste n’a pas d’inspiration pour l’individu, il ne célèbre l’homme que dans ses rapports sociaux, il chante César revenu des Gaules, Bonaparte vainqueur d’Italie. Mais dès que les consuls s’éloignent du grand sentier humain, l’artiste les abandonne ; car pour les étudier, il faudrait les suivre dans leur voie d’égoïsme, il reste dans le peuple, et de même qu’autrefois il en avait exprimé le bonheur et l’ivresse par ses hymnes et ses chants de louanges, aujourd’hui par ses lamentations, il en exprime la tristesse et l’agonie. C’est alors qu’il est vraiment digne d’être appelé la voix de l’humanité.

Tel était à peu près Beethoven. Deux choses en lui, indispensables au grand artiste, génie et conviction. Il croit à sa mission, il croit à la parole, et dès sa jeunesse, il s’y conforme ; à quinze ans, il entre dans la route, et tant que dure sa vie, il y marche si droit, qu’à cinquante ans, après avoir fait bien du chemin, il peut en se retournant apercevoir encore le point d’où il est parti sans que les broussailles d’un sentier de traverse l’empêchent de mesurer l’espace qu’il a mis entre son berceau et sa tombe. En vérité c’est une