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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

chose étrange à l’époque où nous vivons que cette croyance à l’art, dont Beethoven est un des plus frappans exemples. Aussi son œuvre est grande, sublime, complète ; aussi rien n’a manqué à sa vie, rien, pas même l’envie de ses contemporains, pas même ces longues tristesses de l’âme, ces âpres tortures du corps, que la Divinité semble envoyer à l’artiste, comme pour lui faire acheter bien cher le génie qu’elle lui donne. Nous n’aurons que trop l’occasion de voir quel tribut Beethoven a payé aux misères de ce monde ; occupons-nous un instant de ses œuvres, de leur influence sur l’art de notre époque, du rang auquel il s’est placé, et qu’il conserve toujours parmi les grands artistes. Bien que Haydn et surtout Mozart aient fait avant lui des choses ravissantes de fraîcheur et de mélodie dans ce genre de composition, Beethoven peut être regardé comme ayant créé la symphonie, cette symphonie sublime, colossale, épique, opéra et drame à la fois, hymne religieux et chant guerrier, grand tout par lequel le monde musical se résume. La puissance de la musique instrumentale lui appartient, c’est à lui, à Beethoven, qu’elle doit cette allure franche et hardie qu’elle a prise de nos jours ; c’est lui qui marche à la tête de ses contemporains, ce génie si vaste et si sublime, qui a toujours dédaigné de s’imiter lui-même en faisant toujours autre chose que ce qu’il avait fait au risque de ne pas être compris par la foule. Et désormais quel doit être le sort de la musique ? Où va cet art divin, celui de tous les arts qui agit le plus profondément sur les masses, le plus capable de les pousser au dévoûment ! Beethoven est la dernière voix religieuse ; c’est un dernier son de l’orgue aux voûtes de la cathédrale ; le dogmatisme allemand s’éteint en lui. L’Italie de son côté poursuit son œuvre de sensualisme, œuvre commencée à Cimarosa, et dont le crescendo rossinien semble être la limite. Quel peut être le rôle de la France à cette époque ? Placée entre deux systèmes qui tombent, elle essaie de les réunir en son unité, espèce de chaudière où toutes les idées fermentent et travaillent en ébullition. Ainsi donc, à bien prendre, l’œuvre de la France, placée entre le nord dogmatique et le midi sensualiste, serait l’éclectisme. Or si l’éclectisme a prouvé plus d’une fois son impuissance philosophique, que sera-ce donc en art, où tout est génie, inspiration, spontanéité ? Faites donc bâtir la cathédrale de Cologne