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saya de soutenir le théâtre chancelant : ce fut Solis. Le célèbre historien de la conquête du Mexique consacra également à la scène son imagination brillante, son esprit aimable et son style si fortement coloré. Il a laissé plusieurs comédies dignes de l’époque à laquelle il survivait, entre autres celle intitulée El amor al uso (l’amour à la mode), l’une des meilleures dont puisse se glorifier sa nation. On peut dire qu’avec Solis s’éteignit le théâtre espagnol, dont l’histoire est circonscrite entre Lope de Vega et lui. L’élévation de Philippe v au trône d’Espagne ayant fait prévaloir le goût français, et introduit, au moins à la cour, les habitudes de la cour de Louis xiv, les Espagnols, après avoir été nos précurseurs et nos maîtres, comme on le verra plus tard, se contentèrent d’être humblement nos traducteurs et nos copistes. Il est vrai que, dans le cours du dix-huitième siècle, quelques essais pour recréer un théâtre national furent tentés successivement par Zamora, Cañizarès, Luzan et Jovellanos, mais sans aucun succès ; et, pour trouver une œuvre originale, après toutefois les sainetes de Ramon de la Cruz, il faut arriver jusqu’au commencement de notre siècle, à Moratin et à M. Martinez de la Rosa.

Mon intention, en jetant un coup-d’œil sur l’histoire du théâtre espagnol, n’a point été d’entreprendre une dissertation critique : ce serait la matière d’un livre entier. Cependant j’ajouterai à ce précis rapide deux réflexions générales.

L’époque où fleurit le théâtre en Espagne fut, si l’on peut dire ainsi, mal choisie. C’était déjà, au dedans, une époque de décadence littéraire. Après le prodigieux mouvement, les fortes études et les grands ouvrages du seizième siècle, le mauvais goût avait pénétré dans toutes les branches de la littérature, et devait nécessairement infester la scène. Quand les opuscules prétentieux de Gongora et des Cultos remplaçaient les vastes compositions d’Ercilla et de Cervantès, on ne pouvait guère attendre des auteurs comiques contemporains un goût bien sévère et bien consciencieux. D’une autre part, les nations étrangères n’offraient encore aucun exemple bon ou mauvais, aucun modèle à imiter ou à fuir ; ce qui pourrait faire dire que le théâtre, en Espagne, s’ouvrit trop tard ou trop tôt. Ces deux circonstances ont laissé les écrivains dramatiques de ce pays sans frein et sans guide. Aussi trouve-t-on, dans