leurs ouvrages, plus d’invention que d’observation, plus d’imagination que de bon sens, plus de verve que de goût, plus de qualités naturelles que de qualités acquises. De là vient qu’ils ont tous cherché de préférence à tisser des canevas d’intrigues, non à peindre des caractères ; à mettre en relief des aventures, non des passions ou des vices, et que le théâtre espagnol ressemble moins à une galerie de portraits fidèlement tracés qu’à une espèce de lanterne magique où passent rapidement mille figures bizarres et confuses. C’est dans leur roman qu’ils ont mis la comédie, et dans leur comédie le roman.
Il est un autre défaut, plus capital encore, qu’on peut en grande partie attribuer aux mêmes causes. J.-J. Rousseau prétendait que, loin de servir à la réforme des mœurs, loin de donner de bons exemples et d’utiles leçons, le théâtre n’était le plus souvent qu’une école de scandale et d’immoralité. Les esprits rigides qui s’appuient de son opinion doivent bien regretter qu’il n’ait pas connu le théâtre espagnol ; c’est alors qu’il eût soutenu victorieusement cette thèse taxée de paradoxe. Au lieu d’adopter pour maxime l’ancien adage devenu la devise du théâtre, les auteurs espagnols, laissant à part toute idée d’utilité, pour ne chercher et n’offrir qu’un pur divertissement, ont pris pour la fin même ce qui ne devait être que le moyen. Il est vraiment curieux de voir comment, sans mauvaise intention, sans scrupule, avec bonne foi et simplicité, ils sont licencieux et immoraux. C’est au point qu’un critique moderne a pu dire avec raison, en jugeant leurs ouvrages : « On y voit peints, sous les couleurs les plus charmantes, les sentimens les plus dépravés : fraudes, artifices, perfidies, fuites de jeunes filles, escalades de maisons, résistances à la justice, défis et combats fondés sur un faux point d’honneur, enlèvemens autorisés, violences projetées et accomplies, bouffons insolens, valets qui font « honneur et métier de leurs infâmes entremises, etc. »
Ce vice radical, qu’on peut expliquer aussi par les anathèmes de l’église, et qui, à son tour, explique et justifie en quelque sorte la sévérité tant de fois déployée contre le théâtre, n’est pas accidentel et propre à quelques auteurs seulement. Tous, sans exception, y sont plus ou moins tombés. Si, dans quelque pièce ou dans quelque scène, vous rencontrez par hasard une leçon utile,