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Il est vrai que ces paroles seraient inutiles, car une indifférence presque générale, il faut le dire, a accompagné ces malheureux dans leur translation. À la chambre, les centres ont trouvé d’aimables plaisanteries à opposer à un orateur qui se plaignait de la rigueur extrême avec laquelle ont été traités l’inflexible Jeanne et ses compagnons. Un ministre a fort bien prouvé que le gouvernement était dans son droit en agissant de la sorte, et que la prison du Mont-Saint-Michel, où Louis-Philippe a vu briser, au commencement de la révolution, des cages de fer destinées à renfermer les gens de lettres qui écrivaient contre les ministres du temps, est aujourd’hui un séjour charmant. On y jouit, à travers les barres de fer et les créneaux, d’une délicieuse vue de la mer qu’on voit à dix-huit cents pieds au-dessous de soi, l’air y est pur et vif : Avranches, ville populeuse et animée, n’est qu’à peu de lieues de là, à l’extrémité d’une magnifique plaine de sable que domine la forteresse, et en vérité les prisonniers ont grand tort de se plaindre. Leurs femmes et leurs familles qui passaient pieusement la journée au guichet de Sainte-Pélagie, attendant l’heure de les voir, de les secourir et de les embrasser, auront la liberté de traverser paisiblement cette plaine quand le leur permettra la marée qui la couvre. Rien ne les empêchera de gravir les mille degrés du roc tournoyant qui mène au fort, et une fois en haut, si elles arrivent à une certaine heure précise, si le télégraphe s’est montré clément ce jour-là, si les huit cents prisonniers entassés dans ce lieu n’ont pas encouru la disgrâce de leurs geôliers, la consolation qui était permise aux détenus de Sainte-Pélagie, sera accordée aux prisonniers du Mont-Saint-Michel. L’honorable M. Gaillard Kerbertin a bien dit, c’est un lieu très salutaire que le Mont-Saint-Michel !

Cependant on aménage avec soin un élégant navire pour madame la comtesse de Luchesi-Palli, qui n’est coupable, il est vrai, que d’avoir mis la Vendée en feu pendant plusieurs mois, et de nous avoir jetés dans les horreurs d’une guerre civile plus burlesquement terminée que les exploits d’Hudibras, par la main flexible d’un accoucheur. Une nef commode va l’emporter aux riantes mers de Sicile, et les flots qui se prêtent à tout, complaisans comme une chambre de députés, ces flots qui ceignent étroitement les prisonniers du Mont-Saint-Michel, vont rendre à la liberté l’auguste pécheresse.

On assure que M. le ministre du commerce attend l’époque de cette heureuse délivrance (nous parlons de l’élargissement administratif de madame la comtesse de Palli), pour célébrer les fêtes de son propre mariage avec une riche héritière. Depuis quelque temps, on voit M. le ministre du commerce suivre assidûment sa jolie fiancée, et se dédommager près d’elle, sur une banquette de l’Opéra, des tourmens qu’il est condamné à