respectueuse. Pour la première fois, elle jeta sur lui un regard à la dérobée ; et, malgré le peu de prix qu’elle attachait aux avantages extérieurs, elle se plut à remarquer l’air noble, la tournure martiale et l’expression de franchise spirituelle qui distinguaient le comte ; mais, à l’instant même, elle rougit de s’être aperçue de tout cela, et se hâta de donner un autre cours à ses observations.
Madame Necker s’avançait vers elle ; les deux dames se serrèrent la main de la manière la plus affectueuse, et commencèrent à causer ensemble. Avec la sagacité naturelle à leur sexe, elles s’étaient comprises dès le premier abord ; outre cette espèce d’attrait mutuel que ressentent des compatriotes en pays étranger, d’autres motifs de rapprochement et d’intimité existaient entre madame Necker et mademoiselle de Risthal : elles étaient, l’une pour l’autre, l’idéal d’une certaine perfection de manières tant soit peu froides et composées, qu’elles appelaient décence et dignité. Ce point de sympathie n’empêchait pas cependant qu’on aperçût entre elles des différences assez remarquables. Mademoiselle de Risthal avait un langage beaucoup plus simple que madame Necker, et des idées moins systématiques ; elle n’était pas, comme cette dernière, ambitieuse d’esprit et de célébrité ; elle parlait peu et savait écouter, surtout lorsqu’elle croyait pouvoir retirer quelque fruit d’une conversation ; il y avait alors, dans son regard, une expression de candeur et d’intérêt, qui la faisait paraître à la fois modeste, aimable et sensée.
Pendant que Sophie était assise auprès de madame Necker, son tuteur causait debout avec le comte de Morvelle, dans l’embrasure d’une croisée. Quatre hommes d’un certain âge et d’un maintien grave formaient un espace d’a parte, et la petite mademoiselle Necker, assise devant une table à ouvrage, occupait le milieu du salon. En voyant entrer mademoiselle de Risthal, elle s’était levée avec sa vivacité ordinaire, pour courir au-devant d’elle et l’embrasser ; mais, sur un geste de sa mère, elle avait aussitôt repris sa place. La table près de laquelle elle était assise, comme pour travailler, se trouvait couverte, non de broderies, ou d’autres ouvrages, mais de grands morceaux de papiers blancs qu’elle découpait avec des ciseaux pour en faire des figures ; elle paraissait mettre à ce jeu beaucoup de sérieux et d’attention : mais de temps en temps, à la dérobée, elle jetait un