regard en-dessous vers madame Necker, et un beaucoup plus vif du côté des quatre messieurs qui s’entretenaient ensemble. Quelquefois elle leur faisait des signes, et leur montrait, avec un air de satisfaction, les figures qu’elle découpait. Puis, après avoir soufflé sur ses doigts, qui s’engourdissaient loin du feu, elle se remettait à l’ouvrage avec une expression de physionomie si animée et si pleine d’intelligence, qu’il semblait que cette occupation enfantine se rattachât, dans son esprit, à quelque idée d’un ordre plus élevé.
Après un demi-quart d’heure de conversation, Auberti et le comte de Morvelle s’approchèrent ensemble de la maîtresse de la maison : « Eh bien ! monsieur le comte, dit madame Necker, quelles nouvelles de la cour ? » Peu curieuse d’entendre la réponse qui pouvait suivre cette question, Sophie quitta aussitôt son fauteuil, alla s’asseoir auprès de mademoiselle Necker, qui parut toute joyeuse de pouvoir enfin parler à quelqu’un.
— Puis-je vous demander, dit mademoiselle de Risthal, ce que vous voulez faire de ces figures que vous découpez avec tant d’adresse ?
— Devinez ?
— C’est pour mettre dans un livre ?
— Non.
— Ce sont des ombres chinoises ?
— Non, non, c’est un roi et une reine à qui je veux faire jouer la tragédie.
— Et quelle tragédie ?
— Ah ! il faut que je la compose, et je suis en train d’y rêver.
— Quel nom aura-t-elle ?
— Je ne le sais pas encore bien… Mais je crois que je vous amuserai mieux ce soir, si je vous dis le nom des personnes qui soupent avec vous. Cela vous fera-t-il plaisir ? le voulez-vous ?
— Ah ! très volontiers.
— Eh bien ! vous voyez ces quatre messieurs qui causent ensemble ? ce sont des hommes de beaucoup d’esprit !
— Vraiment ?
— Oui, tenez, celui qui gesticule en parlant, et dont la voix est un peu criarde, c’est M. d’Alembert, le secrétaire perpétuel de l’Aca-