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MÉLANGES.

diffère en ce que, suivant lui, les dauphins viennent d’eux-mêmes et sans être appelés, qu’ils reçoivent leur part de la main des hommes, et que chaque barque a le sien qui l’accompagne, quoique la pêche se fasse de nuit et aux flambeaux. »

Cette pêche des muges, dit M. Cuvier, dans les notes dont nous avons parlé plus haut, se fait encore dans l’étang de Lattes sur les côtes du Languedoc comme au temps de Pline, et on en peut voir la description dans les mémoires d’Astruc sur l’histoire naturelle de cette province ; mais les dauphins n’y sont plus pour rien. D’ailleurs, la même histoire est rapportée par Elien et par Oppien, qui chacun la placent dans un lieu différent. Albert (de Anim. lib. xxiv) prétend que ce moyen était en usage de son temps sur les côtes d’Italie, et Rondelet dit qu’il l’avait été autrefois sur les côtes d’Espagne près de Patamos. Peut-être, ajoute M. Cuvier, le fait se réduit-il (comme l’ont pensé Belon et Astruc) à ce que les dauphins, en poursuivant les troupes de muges, les contraignent quelquefois à se jeter dans les anses et les étangs salés ; ce qui, dans certaines circonstances, a pu en rendre la pêche plus abondante.

Je ne trouve rien d’invraisemblable à ce que cette poursuite des muges par les dauphins ait été, sur plusieurs côtes, un fait si habituel, que les hommes aient pu en tirer parti régulièrement pour accroître les produits de leurs pêches. Ils devaient naturellement ménager leurs pourvoyeurs, et l’on conçoit fort bien que ceux-ci, s’apercevant des égards qu’on avait pour eux, soient devenus plus familiers que nous ne les voyons aujourd’hui.

Si cette alliance tacite, qui était également favorable aux deux parties, a été rompue, je penche à croire que les premières infractions sont venues de la part de l’homme. J’avouerai pourtant, car je veux être impartial, qu’il se pourrait bien que les dauphins eux-mêmes eussent été gâtés par un excès d’indulgence et fussent devenus insolens. Chacun sait avec quelle inconvenance se conduisent les singes dans le pays de l’Inde où on les traite comme des êtres sacrés ; peut-être les dauphins, placés dans des circonstances analogues, ne feraient-ils pas preuve de plus de modération.

Quelle qu’ait été la cause de la rupture, il paraît qu’aujourd’hui l’homme ne se sert plus des dauphins pour l’aider à la pêche ; mais, dans certaines parties de l’Europe, il profite encore pour cette opération du concours des oiseaux. Voici du moins ce que rapporte des habitudes des pêcheurs monténégrins le chevalier Bolizza, qui a vécu long-temps dans leur pays en qualité de chargé d’affaires de la république de Venise.

« Les deux rivières de Schiniza et de Rieca Czernovich, qui se perdent toutes les deux dans le lac de Scutari, fournissent, avec quelques autres